Retour sur l'investissement en coaching
Yvon Chouinard
ACC
Le sujet du retour sur l’investissement en coaching ressemble un peu à la question à 64 000$ (The 64,000 Dollar Question), un populaire quiz télévisé américain des années 50 où la question finale pouvait valoir cette somme (l’équivalent d’un demi-million en dollars d’aujourd’hui) au concurrent qui atteignait ce niveau. L’émission fut toutefois l’objet d’un grand scandale lorsqu’il a été découvert que deux des gagnants, Charles Van Doren et Herb Stempel, avaient triché avec la complicité des producteurs qui voulaient donner un ton dramatique à leur émission. Un film (Quiz Show) et un livre furent d’ailleurs tirés de cette histoire.
Similairement, jusqu’à ce jour, les réponses qui ont été données par rapport au retour sur l’investissement en coaching nous ont été soufflées par diverses études peu concluantes, mais qui ont produit quelques effets dramatiques, la plus célèbre, toujours abondamment citée, étant celle publiée en 2001 dans The Manchester Review, qui rapportait un retour de 5,7 fois sur l’investissement en coaching.1 Toutefois, la méthodologie et le faible échantillon de l’étude l’ont exposée à des critiques sévères, dont celle de l’expert australien en coaching, Anthony Grant.
Plusieurs autres recherches ont été menées par la suite avec des résultats également contestables, la plus grande difficulté étant d’isoler l’impact du coaching d’autres variables qui peuvent influer sur les facteurs d’efficacité mesurés.
Donc, la question du retour sur l’investissement du coaching n’a vraisemblablement pas été résolue, jusqu’à ce jour.
C’est dans cet esprit, que Paul Lawrence et Ann Whyte ont entrepris un projet de recherche sur le sujet, afin de savoir comment les organisations évaluent leurs investissements en coaching ainsi que leur degré de satisfaction avec les approches employées, et s’il était possible de développer un modèle de calcul de retour sur l’investissement qu’elles pourraient utiliser à l’avenir. Les résultats de leur recherche ont fait l’objet d’un article dans la revue Coaching : An International Journal of Theory, Research and Practice.2
Qu’en pensent les acheteurs de coaching?
Les auteurs de la recherche ont décidé d’inviter initialement 50 acheteurs de services de coaching à participer à un sondage. Vingt-neuf d’entre eux y ont répondu. Ils ont aussi été interviewés entre 25 et 45 minutes, dont 11 en personne et les autres par téléphone. Les participants représentaient un éventail assez large d’organisations provenant de divers secteurs comme des agences gouvernementales, des services financiers et professionnels, le commerce de détail, l’énergie, le domaine manufacturier, la construction et l’hôtellerie. En cours de route, il a été découvert que ces 29 personnes représentaient des achats annuels de coaching de l’ordre de 5 millions de dollars. Seize étaient basées à Sidney en Australie, dix à Melbourne, une à Brisbane et deux aux États-Unis.
L’étude voulait également vérifier s’il était vrai que peu d’organisations prennent le temps d’évaluer leur investissement en coaching, de savoir comment celles qui le faisaient s’y prenaient et de comprendre les obstacles les plus importants dans le mode d’évaluation.
Toutefois c’est une question comme « Si votre PDG vous demandait de justifier vos investissements en coaching, qu’est-ce que vous diriez? » qui a généré les informations les plus éclairantes aux chercheurs.
Un modèle d’évaluation du coaching inusité
Les travaux de recherche de Lawrence et Whyte ont abouti à un modèle d’évaluation du coaching, essentiellement linéaire, qui prend la forme « d’une tour d’horloge », débutant à sa base avec le but ou la finalité du coaching et culminant tout en haut avec les aspects financiers (voir illustration). Il s’agit davantage d’une stratégie d’évaluation utilisée par les acheteurs de coaching que d’une formule de calcul applicable uniformément.
Les auteurs prennent le temps d’expliquer la différence entre le but du coaching ou mieux l’intention (« purpose ») pour laquelle on décide d’utiliser du coaching, en établissant une différence claire avec les objectifs d’un mandat de coaching et ce but plus large relié à l’organisation.
En effet, ils définissent le but du coaching comme ayant une intention prédéterminée alignée avec la stratégie de l’organisation. Par exemple, une organisation peut vouloir utiliser le coaching pour augmenter le nombre de successeurs potentiels pour différents rôles clés. Par contre, chaque coaché aura des objectifs spécifiques.
La motivation qu’on retrouve au deuxième niveau du modèle est définie comme l’engagement du coaché à s’impliquer dans le coaching. À cet égard, il est crucial que le client acheteur s’assure que le coaching est la forme appropriée d’intervention pour la personne.
La méthodologie de coaching qui se situe au troisième niveau, comprend une évaluation explicite prospective de la philosophie de coaching du coach, son profil, son expérience, son approche et les méthodes utilisées. Les auteurs de la recherche ne donnent pas de pistes pour identifier des méthodologies plus appropriées que d’autres, mais les participants à la recherche ont clairement indiqué qu’il était important de choisir le bon coach pour la bonne personne.
Les comportements, au quatrième niveau du modèle, sont tout aspect du fonctionnement d’un individu qui peut être observé par les autres. En fait, 83% des personnes interviewées ont affirmé que leur stratégie d’évaluation comprenant une observation continue de changements de comportements chez la personne coachée et pour lesquelles elle peut obtenir du feedback, y compris l’utilisation d’outils 360o.
Au cinquième niveau du modèle, les résultats sont tout élément quantifiable relié aux résultats des activités (affaires ou autres) de l’organisation. Des résultats comme un plus grand engagement ou un changement de comportement ne sont pas des indicateurs suffisants. Les paramètres d’évaluation doivent être reliés à l’atteinte des objectifs stratégiques de l’organisation.
Finalement, le Retour sur l’investissement (RSI) est toute formule explicite de calcul pour donner aux résultats du coaching une valeur monétaire. Toutefois, seulement 28% des participants ont mentionné le RSI comme étant une composante d’un système d’évaluation parfait du coaching. Les acheteurs ont démontré davantage d’intérêt pour la profondeur de la compréhension du coaching par les cadres supérieurs, une compréhension mieux acquise en étant coachés eux-mêmes.
Le modèle proposé par les auteurs comprend aussi un processus d’évaluation périodique que les clients acheteurs utilisent afin de vérifier la progression des mandats de coaching, à au moins trois reprises. Par exemple, ils s’assurent qu’il y a un plan de coaching au début. Ils font ensuite une autre suivi à mi-parcours des mandats ainsi qu’à la fin. Ce genre d’évaluation est plus facile à faire en coaching qu’en formation. En effet, il est difficile d’évaluer les résultats d’un programme de formation tant qu’il n’est pas terminé, alors que les participants à la recherche affirment pouvoir suivre l’évolution et les progrès des coachés au fur et à mesure du déroulement du programme de coaching.
Qu’en est-il du retour sur l’investissement (RSI)?
Les auteurs en viennent à la conclusion que d’utiliser des paramètres financiers pour calculer le RSI peut être utile, à la condition que le RSI vienne complémenter d’autres preuves d’efficacité. Il est improbable qu’une simple mesure financière soit utile pour évaluer l’impact du coaching dans une organisation. De mettre trop l’accent sur le RSI, comme certains cabinets de coaching le font, peut parfois être interprété simplement comme un mantra marketing. En effet, il semble que les leaders ne cherchent pas nécessairement à avoir la preuve concrète que le coaching a un impact direct sur le bénéfice. Ils sont plus susceptibles de rechercher des preuves que le coaching a un impact sur les dimensions clés de la performance de l’organisation.
Implication de cette recherche pour les coachs
À la suite de cette étude, il aurait été plus simple pour tous les coachs d’avoir accès à une formule universelle de calcul du RSI du coaching, mais ce serait de réduire la valeur du coaching à un simple chiffre en ignorant les bénéfices qui peuvent difficilement être quantifiés en termes monétaires.
Évidemment, cela présente un dilemme pour l’évaluation des avantages du coaching. En effet, comment évaluer la valeur monétaire de l’amélioration des comportements de leadership? La réponse commence sans doute avec un regard informé sur la réalisation de la stratégie de l’organisation qui comprend un ensemble complexe de facteurs liés à son succès.
C’est pourquoi le modèle de Lawrence et Whyte offre un outil qui permet de travailler avec les clients afin de les aider à élaborer un système d’évaluation du coaching qui prend en compte plus que le seul élément financier.
- McGovern, J., Lindemann M., Vergara, M., Murphy, S., Barker, L., & Warrenfeltz, R. (2001) Maximizing the Impact of Executive Coaching: Behavioral Change, Organizational Outcomes, and Return on Investment. The Manchester Review 6(1) https://www.perspect.ca/pdf/ExecutiveCoaching.pdf
- Lawrence, P. & Whyte, A. (2013) Return on investment in executive coaching: a practical model for measuring ROI in organisations. Coaching: An International Journal of Theory, Research and Practice. 7:1, 4-17. http://dx.doi.org/10.1080/17521882.2013.811694