L’état d’esprit est-il inné ou appris?par Gisèle Aubin, PCC
En coaching, nombreux sont les clients aux prises avec des enjeux de transformation. Très souvent, avant de s’engager dans une démarche de coaching, ils auront élaboré plusieurs stratégies dans le but de voir le changement souhaité s’implanter. Rapidement ils auront reconnu que pour se démarquer, il faut innover.
On n’impose pas l’innovation comme on impose une réduction de coûts. Pour innover il faut pouvoir faire preuve de créativité (ne pas craindre de penser différemment), être disposé à collaborer (considérer les autres) et faire preuve d’engagement (un échec est juste un défi à surmonter). L’innovation requiert une bonne dose d’énergie et de vulnérabilité. On doit avoir droit à l’erreur et pour ce faire, se sentir appuyé.
De nombreuses recherches nous indiquent que l’innovation réside dans la disposition et l’état d’esprit dont nous faisons preuve et que ce dernier est binaire. Il est fixe ou ouvert. Lorsqu’il s’agit d’un état d’esprit fixe[1], l’innovation est rendue plus difficile puisque nous cherchons à prouver que seul ce qui nous est connu et éprouvé est valable. Donc, devant l’inconnu nous nous butons, car nous ne reconnaissons que ce que nous savons déjà. De là la difficulté à sortir de son cadre de référence.
Inversement, l’esprit ouvert, sera réceptif à l’exploration, au risque, et à la possibilité de l’erreur.
La question se pose : L’ouverture est-elle innée ou peut-on la développer? Selon Carol Dweck, heureusement, celle-ci se développe.
Pour aider l’ouverture et nous permettre d’explorer au-delà de nos cadres de référence, certains principes nous guident :
- Avoir une vision claire de ce que l’on cherche à atteindre (connaître le résultat recherché)
- Croire en notre projet (être animé d’une volonté de réussir)
- S’abstenir de juger de la « faisabilité » du projet (être ouvert à toutes les possibilités)
- Accepter d’être en mode d’apprentissage (oser essayer, adopter les suggestions des autres, etc.)
Aux dires de l’auteur, ceux et celles qui voient leurs enjeux comme des opportunités plutôt que des embûches ont tendance à innover plus facilement.
Mais un prérequis existe à l’existence d’un état d’esprit ouvert; il s’agit d’un statut d’inclusion. Pour oser exposer ses idées, on doit d’abord se sentir accepté. Naomi Eisenberger[2], chercheur de l’université de Californie à Los Angeles a démontré qu’un individu qui se sent rejeté vit le tout comme une menace. L’étude va jusqu’à dire que l’expérience est douloureuse au même titre qu’une douleur physique. Donc, inversement, l’inclusion est un baume.
À cet effet, une merveilleuse histoire vient appuyer ce qui précède : À l’automne 2000, Matt Peacock, un travailleur social de Londres en Angleterre, également critique d’opéra, a fondé l’organisme « Opéra de Rue » (Streetwise Opera). Comme travailleur social, son objectif consistait à permettre aux sans-abris de développer les habiletés nécessaires pour réintégrer la société. L’idée de ce projet lui est venue en entendant les commentaires que s’échangeaient les amateurs d’opéra à la sortie des spectacles alors que de nombreux sans-abris les ciblaient pour demander la charité. Le milieu en était un de rejet.
Au lieu de chercher à éviter ces « indésirables », Peacock a choisi de créer un opéra dans lequel les sans-abris étaient invités à participer. Il suscitait ainsi une collaboration entre eux et les vrais artistes de l’art lyrique. Ces derniers acceptaient de travailler sur ce projet dont les profits étaient consacrés à la cause des sans-abris.
Pensons-y. Initier les sans-abris à l’art lyrique. Il y en aurait plusieurs pour questionner cette décision. On entend facilement les sceptiques s’exclamer; Mais dans quel but? Ne devrait-on pas les aider à se trouver un emploi plutôt? La question serait légitime.
Son approche a d’abord alimenté leur besoins de statut. Peut-être consciemment, peut-être intuitivement, il a néanmoins adressé le point névralgique. David Rock a longuement écrit sur le sujet de statut, notamment en mettant à l’appui son modèle SCARF[3] qui énumère les besoins essentiels de l’individu dans la collectivité; statut, certitude, autonomie, relation, équité (fairness) futur. En somme, tout ce que les sans-abris n’avaient plus.
Ainsi pour eux, l’appartenance à un groupe d’individus au cœur duquel leur contribution était requise, et l’exposition à la musique, plus particulièrement au chant, furent bénéfiques. Il fut démontré que cette démarche eut comme effet de réduire significativement le taux d’anxiété et le niveau de stress et de renforcir le système immunitaire.
Va pour les bienfaits physiques.
Maintenant, comme ce qui leur fut demandé était à priori tout à fait hors de leurs compétences et que ce milieu est traditionnellement réservé à une « élite », il s’agissait donc d’un grand défi pour eux. Toutefois, le fait d’y être associés et de voir que d’autres croyaient en leur capacité d’y participer de manière significative ont augmenté drastiquement leur confiance en eux.
En bout de piste, tous se sont vus différemment suite à cette expérience et se sentaient plus capables de faire face aux autres. D’autres résultats démontrent que 95% des participants ont vu leur santé mentale s’améliorer, 91% ont amélioré leur sociabilité et 85% disent se sentir plus confiants en eux-mêmes. Un tableau détaillé de l’impact[4] est disponible sur le site et démontre le succès de la démarche en matière d’insertion.
Ce projet, il est certain, a dû sembler farfelu à plusieurs. Il faut savoir qu’aujourd’hui l’Opéra de Rue en est à sa quinzième année d’existence, a plus de 15 productions à son actif et est associée à l’organisme « One Voice ». Ensemble ils se produisent un peu partout dans le monde, dont Montréal en octobre dernier.
De bien comprendre les vrais leviers de la performance, et de l’innovation qui la véhicule, est à la base même de notre réussite. À retenir : la performance est entre autres, le fruit d’un état d’esprit ouvert, lequel existe dans la mesure où l’on reconnaît l’individu au cœur de l’enjeu. Soi ou l’autre. Il s’agit de l’individu d’abord. L’angle d’approche fait toute la différence.
Le vrai courage c’est le courage d’être ouvert [5]– d’accueillir le changement et les nouvelles idées indépendamment de leur source.
En cette période des Fêtes c’est mon souhait pour vous, votre entreprise et pour le monde qui nous entoure; puissions-nous accueillir le changement et les individus qui le portent à bras et esprit ouverts.
[1] Dweck, S. Carol. Changer d’état d’esprit : Une nouvelle psychologie de la réussite. 2010. Éditions Mardaga.
[3] Rock, D. Your Brain At Work. 2009. Harper Collins Publishers. NY
[4] http://media.streetwiseopera.org/sites/default/files/STREETWISE%20EVALUATION%20INFOGRAPHIC_2015-16_0.pdf
[5] Welch, J. Byrne, J.A. Straight From the Gut. 2003. Warner Business Book, NY.