Et si chaque supervision m’amenait à une place où je n’ai jamais été ?par Dominique Barbès, MCC
Une des fonctions de la supervision, selon Peter Hawkins[1], est d’ « aider le coach à rester authentique et courageux, vigilant à ce qu’il ne voit pas, n’entend pas, ne s’autorise pas à ressentir, ou ne dit pas ».
Marie, 35 ans, professionnelle dynamique, exerce dans un cabinet en Ressources Humaines. Formée au coaching depuis 2 ans, en route vers le PCC. Reconnue dans son métier de psychologue du travail, elle consolide actuellement son positionnement de coach au sein du cabinet. Ce cas aborde les rencontres 1,2 et 3.
Elle amène plusieurs enjeux en supervision:
- Tournée vers l’analyse et l’interprétation de par sa formation initiale, elle tend à revenir à sa posture de conseil
- Elle souhaite apprivoiser son intensité et son émotivité naturelles
- Elle s’interroge sur l’éthique de certains de ses processus.
Les objectifs validés en tripartite sont :
- Accueillir sa vulnérabilité : accepter l’instabilité émotionnelle-gestion de soi
- Amener plus le cadre au service de la relation de coaching
- Mieux connaître sa « marque de fabrique » de coach.
Dès la supervision 1, nous établissons notre « pacte ». Il permet à chacune « d’exprimer sa puissance, sans tomber dans la toute puissance… ». Ainsi « …le superviseur accompagne le coach dans le haut de lui-même, reste en autorité tout en étant en parité[2].»
- Pour être en coresponsabilité, comment veux-tu fonctionner ensemble? »
- J’aimerais être dans une posture réflexive, plus qu’en mode conseil. Ramenez-moi à l’essentiel. J’apprécie la liberté que nous nous sommes données depuis le départ. Et continuez à modéliser une approche de confrontation avec douceur. C’est vers là que je veux aller moi-même. »
Suite à l’écoute d’un coaching enregistré avant la supervision 2, sont apparus :
- Des compétences dans la mise en relation, la rétroaction, les questions puissantes
- Des failles dans le cadre du coaching
- Un défi récurrent: la coach a le sentiment de tourner en rond.
Le feedback et la supervision 2 orientent la coachée vers:
- « Établir les fondations[3]» : approfondir pour poser suffisamment objectifs et indicateurs
- Amener systématiquement le tripartite lors de ses coachings en organisation renforcera éthique, engagement et coresponsabilité
- L’écoute de soi : conserver une posture calme, plus détendue, permettront de « Faire vivre une relation de qualité » et d’être en disposition pour « Écouter avec attention », en particulier ce qu’elle ressent
- De plus, la supervision soulève un « angle mort » : Marie évoque une « blessure » qu’elle sent chez sa cliente et n’ose pas aborder. Elle en parle elle-même avec intensité. Déjà consciente d’une proximité entre les personnalités coach-cliente, je pose l’hypothèse d’une blessure personnelle, ce qui l’amène dans l’émotion. À partir du dessin de son ressenti, elle développe plusieurs métaphores et prend conscience de l’autorisation en coaching de « tomber le masque» et de s’appuyer sur son émotion autrement qu’en mode conseillère et psychologue.
La coach arrive en supervision 3 impressionnée par la puissance de la structure qu’elle a enfin installée. Elle se laisse moins gagner par l’excitation, le rythme de ses coachés. Elle s’interroge cependant encore sur les frontières coach-consultant.
Autre enjeu, elle vit plusieurs difficultés au moment de terminer ses coachings. Récemment, sa coachée s’estimant satisfaite a souhaité arrêter et a repoussé le bouclage du coaching à plus tard. Dans un autre coaching, le client est simplement satisfait d’avoir atteint ses objectifs. La coach a un sentiment de malaise et d’inachevé.
La supervision est une relation de collaboration au service d’une multitude d’acteurs. Superviseur et supervisée explorent différents environnements pour construire du sens, chercher de nouveaux éclairages:
- Avant de revenir à ta situation, j’ai une question : avec tes autres coachés, ton organisation, celles de tes coachés, cette thématique du bouclage est-t-elle aussi présente? .
- Oui, quotidiennement j’évolue dans un environnement où on saute d’un dossier à l’autre. Quand on fait un jeu de rôle lors de mes évaluations de leaders, j’observe qu’ils ne bouclent pas. Je joue l’employée, le chrono sonne et c’est fini !
- Quels sont les risques à ton avis ?
- Le risque c’est « le jour de la marmotte » ! reproduire …Boucler c’est revenir à tourner en rond ?
- Et si c’était autre chose que tourner en rond ce serait quoi ?
- C’est prendre conscience du chemin accompli pour décider où on veut aller et si on a le gout de faire le chemin ensemble.
Je répète :
- …et faire le chemin,…, ensemble ?
- Ah, je réalise que j’associais « poursuivre le chemin » et « ensemble » !
- Y a t il autre chose ?
- Oui, l’émergence de multiples besoins….ma coachée arrive avec des demandes sur la gestion de ses employés plutôt que l’objectif collaboratif du début. Or la prochaine fois c’est le bouclage !
- Qu’est-ce qui t’empêche de la coacher là-dessus ?
- Je vois émerger des besoins beaucoup trop grands pour une rencontre…
- Et quelle émotion vis-tu là quand tu en parles ?
- Une panique…je ne peux pas…
- Vois-tu le parallèle entre ce que vit ta coachée et ce que tu vis là ?
- Oui, je passe souvent trop vite sur l’émotion. Je peux lui faire nommer son émotion quand elle déborde sur ses nouveaux besoins, puis demander en quoi ça parle de son objectif de collaboration?
Dans cet échange la coach prend conscience de 2 freins:
- sa propre difficulté à poser des limites, à arrêter, influençait son approche du bouclage et l’empêchait de proposer un processus créatif, y compris dans cette étape déterminante du coaching ;
- s’autoriser une attention plus grande à ses ressentis peut lui ouvrir des pistes fertiles d’exploration avec ses coachés.
Et il nous faut, à notre tour, atterrir:
- Que pourrions-nous faire de différent ?
- Tes feedbacks m’apprennent à m’enraciner dans le moment présent. Regardons encore plus où sont mes angles morts !!
[1] Étude 2015 ICF Advance
[2] Daniel Grosjean. La supervision des coachs. 2010
[3] Nous consolidons ici quelques-unes des 11 compétences d’ICF