Qu’est-ce donc à la fin que le leadership?par Jean Raymond Bonin, PCC
« J’ai besoin d’améliorer mon leadership. Pouvez-vous m’aider ? » - « Et qu’est-ce qui vous amène à formuler une telle demande? » - « Dans ma dernière évaluation de rendement, mon DG m’a dit que j’en avais besoin pour que mes employés me suivent et si je voulais avoir ma promotion… »
Quelques observations
Au fil des ans, être un « leader » est devenu une obligation. Mais parce que c’est tellement banalisé et utilisé à toutes sortes de sauces, ça veut tout dire et ne rien dire à la fois. Qu’est-ce qu’on entend par leadership? Si on tape le mot « leadership » dans Google, on obtient 173 millions de résultats en 0,23 seconde. En restreignant la recherche à « définition du leadership », on obtient 643 000 résultats en 0,32 seconde. De quoi lire dans les transports en commun pendant toute une carrière!
Dans certains cas, on identifie même le leadership au statut, comme dans l’appellation « équipe de leadership » pour désigner la direction d’une organisation. Comme si ça venait en prime avec la promotion! Il ne s’agit pas ici de nier le besoin criant de personnes avec une capacité de leadership à la tête des organisations. Tout au contraire!
On observe également que plusieurs organisations et entreprises ont élaboré des profils de compétences visant à cerner les comportements souhaités à l’appui du développement du leadership parmi leurs membres. Par ailleurs, comme pour n’importe quel outil, la compréhension et l’utilisation du contenu de ces profils varient d’une personne à l’autre. Pour certains, c’est l’occasion de grandir alors que pour d’autres, les profils ne sont qu’un manteau dont on se drape au moment opportun. Une bonne casserole ne fait pas nécessairement un bon chef!
Une distinction éclairante
Ronald Heifetz1, du Harvard’s Kennedy School, propose quatre dimensions intéressantes pour mieux comprendre l’essence du leadership et éclairer quelques confusions courantes. Il distingue d’abord entre « autorité/direction » et « leadership ». L’autorité/direction a pour fonction de donner l’orientation et la direction, d’établir les normes, d’arbitrer et, au besoin, de protéger. Quant au leadership, il a pour fonction de mobiliser les personnes autour des enjeux cruciaux et difficiles. Deuxièmement, certains problèmes peuvent se résoudre par des solutions connues alors que d’autres requièrent un changement de paradigmes, des comportements nouveaux, des apprentissages collectifs; ce sont ces derniers qui exigent le leadership.
Albert Einstein suggérait “You cannot solve a problem from the same consciousness level that created it. You must learn to see the world anew”. Troisièmement, si l’on conçoit le leadership comme une démarche, et non comme un lieu de pouvoir et de positionnement personnels, l’attention se porte davantage vers les progrès faits en regard de la résolution des problèmes exigeants (swamp issues). Le leadership se met au service des autres. Enfin, le leadership met l’accent sur la capacité de présence de la personne et son aptitude à intervenir dans des systèmes complexes plutôt que sur la valorisation des traits de personnalité ou du charisme qui a parfois mené à des désastres.
En ce sens, Heifetz s’inscrit dans un courant de pensée qui suggère que le leadership émerge de la manière d’être de la personne. Dans la même veine, Kevin Cashman2 définit le leadership comme étant « (an) authentic influence that creates value ». L’authenticité réfère ici à une profonde connaissance de soi. L’influence est reliée à ce qui est significatif pour chacun. La création de valeur inclut ce qui est bon pour le plus grand nombre à long terme.
Chaque personne, à tous les niveaux d’une organisation, a donc son cocktail personnel de leadership formé de son histoire, de son évolution et de sa manière d’être. L’essence du leadership se rattache plus à la manière d’être qu’à des manifestations externes à soi telles que le statut ou les résultats d’affaires du dernier trimestre.
Le coaching peut-il aider à développer le leadership?
Ce qui se développe, c’est en fin de compte la personne et non pas quelque chose d’externe à elle. En amenant la personne à voir sa propre nature, à se remettre en cause, elle peut modifier et élargir sa perception de la réalité et, ce faisant, ses interventions prennent une autre dimension. Il ne s’agit donc pas tant de faire rentrer la personne dans une « petite boîte de format standard », mais de lui permettre de faire émerger son leadership personnel. Le développement de la connaissance de soi devient alors le moteur de l’accroissement du leadership et permet à la personne « to show up in the world »3. Ainsi, les probabilités d’apprentissage à long terme apparaissent plus solides et risquent moins de s’effriter que si les compétences sont plaquées artificiellement sur la personne.
Voilà des pistes prometteuses pour l’évolution de la société et la résolution des problèmes multidimensionnels et complexes auxquels fait face l’humanité.
- Parks, S.D. (2005) Leadership Can Be Taught : A Bold Approach for a Complex World, HBS Press
- Cashman, K (2008) Leadership from the Inside Out, San Francisco : Berrett-Koehler Publishers Inc.
- Ibid.