Le paradoxe de la baguette magiquepar Jean-Pierre Bekier, PCC
Quel coach un jour ne s’est pas retrouvé face à ces réponses de la part de son coaché : « Je ne sais pas » ou encore « Je suis incapable de».
De prime abord, ces réponses semblent logiques dans le cadre d’une démarche de coaching puisque le client sollicite un coach pour découvrir ce dont il n’a pas conscience. Derrière la réponse «Je ne sais pas » se cachent insidieusement des schémas complexes comme celui d’assurer la cohérence (absence de conflit) du concept de soi (perception que l’individu a de lui-même, ses croyances, ses valeurs et ses représentations subjectives de la réalité) ou encore de créer du sens (congruence entre la perception du concept de soi et l’expérience vécue).
Le cognitiviste A. Bandura (2002) nous révèle que si les individus ne croient pas qu’ils peuvent obtenir les résultats qu’ils désirent grâce à leurs actes, ils ont peu de raisons d’agir et de persévérer face aux difficultés. En effet, la perception qu’a un individu de ses capacités à exécuter une activité influence et détermine son mode de pensée, son niveau de motivation et ses comportements.
Quels choix d’intervention le coach a-t-il face à cette réponse ? Certains coachs adressent la question suivante : « Et si vous possédiez une baguette magique, que feriez-vous ? » C’est en 1955 que G. Kelly a élaboré cette technique « la thérapie de l’assignation de rôle ». En utilisant cette technique, le coach assigne à son coaché un rôle. Celui-ci peut donc tester de nouvelles hypothèses et faire des interprétations différentes des événements, et ce, dans la plus totale sécurité puisque imaginaires et dissociées du concept de soi. Cette technique semble produire des résultats.
J. Rotter, psychologue (1966), définit l'estime de soi comme la croyance de l'individu qu'il est agent des évènements de sa vie (lieu de contrôle interne) ou victime (lieu de contrôle externe). À la lumière de mes diverses expérimentations en coaching, je ne suis pas convaincu que cette baguette magique soit la meilleure stratégie pour notre coaché. Dans cette perspective, le pouvoir qu’a notre coaché sur le contrôle des évènements, est attribué au pouvoir métaphorique de cette baguette magique et non aux ressources endogènes de notre coaché. Il est de notoriété que la croyance que les actions personnelles déterminent les résultats augmente le sentiment d'efficacité et de pouvoir alors que la croyance que les résultats surviennent indépendamment de ce que fait l'individu crée de l’apathie.
De mon point de vue, cette réponse du coaché « Je ne sais pas » constitue « le sésame ouvre-toi » révélateur d’éléments clés, levier d’un sentiment de pouvoir et d’efficacité. Dès lors, quels avantages le coaché aurait-il d’explorer cette « caverne d’Ali Baba » ? Au cours de cette exploration où il est accompagné par son coach, le coaché va déterminer « ce qu’il sait » et ajuster successivement ses stratégies adaptatives pour s’harmoniser aux changements situationnels révélés par de nouvelles prises de conscience.
Voici quelques pistes pratiques d’exploration que je privilégie dans mes interventions en coaching. Je vous invite à les expérimenter.
« Quelles sont vos croyances relativement à ma question ? » « Comment vous sentez-vous face à ma question ? » « Comment qualifieriez-vous la qualité de notre relation ? » « Quel pouvoir ce « je ne sais pas » vous procure-t-il ? » « Comment, sur une échelle de 1 à 100, mesureriez-vous votre sentiment d’efficacité face à cette situation ? » « Vous ne savez pas quel sentiment vous éprouvez face à votre réponse ? » « Quelles attentes de votre coach percevez-vous relativement à cette réponse ? » « Quels bénéfices cette réponse « je ne sais pas » vous procure-t-elle? « Quelles attentes avez-vous de votre réponse ? » « Vous ne savez pas, c’est OK, que comptez-vous faire ? » « Incapable, c’est capable de ne pas faire ; ne pas savoir, c’est se donner le droit d’ignorer. Que voulez-vous ignorer ? » « Comment se fait-il que vous ne sachiez pas ? » « Je vous croyais plus créatif ! » « Si ce n’est pas vous, qui le sait ? » « Quelle est l’importance de savoir ou de ne pas savoir ? » « Qu’est-ce que vous ne savez pas ?» « Combien de fois cela vous est-il arrivé de ne pas savoir ? » « Quelles sont les conséquences de ne pas savoir dans cette situation ?» « Alors pourquoi vouloir savoir ? » « N’y a t-il pas une fois où vous saviez ? » « Comment savez-vous que vous ne savez pas ? » « Comment pourriez-vous savoir ? » « Et si vous saviez ? »
Comme le dit V. Lenhardt, le coach aide l’autre à se débrouiller seul. Offrir une aide à quelqu’un sans que cela ne soit nécessaire peut diminuer son sentiment de compétence, donc abaisser la mise en œuvre de ses aptitudes. Votre coaché a-t-il vraiment besoin d’une baguette magique ?