Le bien-être et la performance par le coaching humaniste.par Yvon Chouinard
L’autonomie et la motivation
Pour enrichir les bases théoriques de leur pratique, les coachs professionnels ont grand intérêt à s’instruire des validations scientifiques qui peuvent appuyer leurs interventions auprès des clients qui requièrent leurs services de coaching. Un tel effort leur permettrait d’éviter l’utilisation aveugle de méthodes ou de « recettes » de coaching, en plus de contribuer à la crédibilité de la profession.
Au cours de la dernière décennie, nous avons d’ailleurs observé une amélioration significative de la qualité et de la quantité des recherches consacrées au coaching. Mais plusieurs voix parmi les chercheurs demandent qu’encore plus de recherches rigoureuses soient faites pour combler le fossé entre la science et la pratique.
Par exemple, un des fondements de la pratique du coaching est la notion que la personne coachée est en mesure de trouver elle-même les solutions qui lui conviennent, et non le coach. Cela dit, il y a peu de méthodes de coaching enseignées qui expliquent sérieusement les assises scientifiques de cette notion.
Il est donc éclairant de lire l’article de recherche de Gabriel, Moran et Gregory publié dans Coaching : An International Journal of Theory, Research and Practice, 1 à propos de l’utilisation d’une approche humaniste en coaching couplée à la théorie de l’autodétermination, pour favoriser l’autonomie et la motivation du client en coaching, ce qui peut favoriser le bien-être et la performance de la personne en coaching.
Aperçu du coaching humaniste
Le coaching humaniste trouve ses racines dans le mouvement de la psychologie humaniste dont les principaux représentants furent Carl Rogers 2 et 3 et Abraham Maslow 4. Un des éléments clés du coaching humaniste est l’emphase mise sur le bien-être du client et son fonctionnement optimal. Une approche humaniste en coaching, centrée sur la personne, devrait normalement favoriser la croissance de l’individu et augmenter la probabilité qu’il atteigne un niveau plus élevé de réalisation de soi et d’accomplissement. Évidemment, jusqu’ici, rien de vraiment nouveau sous le soleil pour la très grande majorité des coachs.
Ce que Gabriel, Moran et Gregory proposent toutefois est d’associer le coaching humaniste à la théorie d’autodétermination de Ryan et Deci. 5 La théorie d’autodétermination stipule que les êtres humains sont motivés par trois besoins psychologiques de base, soit le besoin d’autonomie, le besoin de se sentir compétent et le besoin d’appartenance sociale. Lorsque ces trois besoins sont satisfaits chez un individu, cela devrait mener, en général, à une sensation de bien-être, le besoin d’autonomie s’avérant toutefois plus fondamental que les deux autres pour expliquer les comportements humains.
S’il existe plusieurs autres théories de la motivation au travail, peu d’entre elles ont été étoffées par autant d’études à travers le monde que celle de l’autodétermination de Deci et Ryan. L’ouvrage de Deci et Blaste 6 intitulé Why we do what we do demeure une référence incontournable sur le sujet de la motivation. Par exemple, ils écrivent que de récompenser des enfants afin qu’ils fassent leurs devoirs est loin d’être la meilleure méthode pour les motiver. Selon eux, que ce soit à l’école, au travail ou à la maison, la meilleure façon de motiver les gens est d’encourager leur sentiment d’autonomie, soit la perception qu’ils sont à l’origine de leurs propres comportements.
De la motivation extrinsèque à la motivation intrinsèque
D’autre part, les chercheurs ont identifié deux formes principales de motivation qui s’expriment sur un continuum : la motivation intrinsèque qui émane du moi et la motivation extrinsèque provoquée par des forces externes à soi. Un phénomène important de la théorie de l’autodétermination est que des comportements engendrés par des stimulations externes ont la capacité d’être internalisés et intégrés avec le temps, souvent avec l’aide de différentes conditions socioculturelles, comme la rétroaction d’un coach ou de collègues de travail. Que la motivation soit influencée par des moyens intrinsèques ou extrinsèques, il est important que la personne s’identifie avec les influences reçues et les accepte, afin de satisfaire le besoin d’autonomie.
Toutefois, jusqu’à ce jour, il y a peu de démonstrations théoriques qui expliquent les comportements et les actions des coachs qui peuvent avoir un impact sur les besoins psychologiques, et ultimement la performance et le bien-être.
C’est à partir de ce constat que les auteurs ont développé un modèle (voir graphique) qui a été largement testé dans un contexte de coaching sportif et qui pourrait être utile pour soutenir la pratique des coachs dans un cadre organisationnel.
Utilisation de la théorie de l’autodétermination en coaching
En effet, en se basant sur les expériences documentées avec des athlètes ainsi que des élèves, les chercheurs soutiennent que les coachs ont la possibilité d’employer trois types de comportements spécifiques qui peuvent influencer positivement la satisfaction des besoins psychologiques et les résultats du coaching en soutenant (a) l’autonomie, (b) le sentiment de compétence et (c) le sentiment d’appartenance. À partir de ce modèle, il y a donc des comportements spécifiques et documentés que le coach peut adopter dans l’accompagnement de son client.
Comportements appuyant l’autonomie
Ainsi, on a découvert trois comportements spécifiques du coach qui peuvent appuyer le sentiment l’autonomie :
- Une raison significative justifiant l’accomplissement de la tâche considérée par le client;
- La reconnaissance que la tâche peut ne pas être tout à fait intéressante;
- Une emphase sur le fait qu’il s’agit d’un choix de la personne de l’accomplir.
En aidant la personne coachée à choisir des objectifs reliés au travail et en l’aidant à développer des compétences à maîtriser pour les atteindre, non seulement la personne développera-t-elle son autonomie, mais également un sentiment de compétence.
Comportements appuyant le sentiment de compétence
Les comportements appuyant le sentiment de compétence sont cruciaux pour favoriser le développement de la personne, sans toutefois qu’elle se compare à d’autres. À partir d’objectifs clairs, le rôle du coach est de favoriser la maîtrise de certaines compétences en aidant le client à mieux comprendre les tâches accomplies et leur raison d’être.
À ce propos, soulignons en passant que les gestionnaires qui prennent au sérieux leur rôle de patron-coach doivent former et préparer leurs collaborateurs, éliminer les obstacles qui peuvent inhiber leur performance, s’assurer qu’ils ont des buts présentant un niveau optimal de défi (ni trop facile, ni trop difficile), et finalement, les encourager à apprendre de leurs erreurs. Il nous semble que les coachs externes ou internes pourraient utiliser les mêmes approches avec les personnes qu’ils coachent.
Comportements appuyant le sentiment d’appartenance
Selon certaines recherches citées par Gabriel, Moran et Gregory, quatre activités sociales permettent de prédire un effet positif et significatif sur le sentiment quotidien d’appartenance :
- Discuter de quelque chose de significatif pour soi avec quelqu’un d’autre;
- Passer du temps avec les autres;
- Se sentir compris et/ou apprécié;
- Faire des choses qui sont agréables/amusantes.
Les entretiens de coaching sont des moments privilégiés où le coach peut parler de ces sujets avec son client, de manière non directive ou prescriptive, mais aussi pour l’encourager à prendre des initiatives ou faire des choix qui l’amènent à intégrer ces éléments dans sa vie quotidienne au travail.
Passer de la motivation extrinsèque à la motivation intrinsèque
Même si les différents comportements cités plus haut semblent s’appliquer à un seul type de besoin psychologique à la fois, chacun de ces comportements par les coachs peut avoir une influence marquée sur les trois besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’appartenance. En réalité, les trois besoins sont étroitement reliés. De plus, les comportements du coach dans ces trois aspects aideront la personne coachée à passer graduellement de la motivation extrinsèque à la motivation intrinsèque.
À cet effet, citant une autre étude portant sur le coaching et la théorie d’autodétermination (Spencer et Oades, 2011),7 Gabriel, Moran et Gregory disent que le coach peut être le catalyseur socioculturel qui aide la personne coachée à faire cette transition dans le continuum de sa motivation. Par exemple, en travaillant sur les trois facteurs d’autonomie, de compétence et d’appartenance, le coach peut amener son client à mieux comprendre comment ses buts sont reliés à ceux de l’organisation, accomplissant ainsi une intégration des éléments internes et externes.
Intégration du coaching humaniste et de la théorie de l’autodétermination
Le coaching humaniste est largement orienté vers le coaching de la « personne entière » par opposition au coaching pour des besoins très spécifiques, des défis ou domaines particuliers de la vie de la personne coachée. Le coaching humaniste met l’emphase sur le rôle critique de la relation coach/coaché. En tant que tels, plusieurs des concepts de la théorie de l’autodétermination, comme la satisfaction des besoins psychologiques, correspondent aux objectifs principaux du coaching humaniste.
Reflétant son enracinement dans la psychologie positive, l’approche du coaching humaniste amène le coach à adopter un regard positif inconditionnel de son client en l’acceptant et le respectant tel qu’il est. Le coach doit aussi rester « vrai », tout en encourageant son client à faire de même.
Un autre élément clé du coaching humaniste est l’accent mis sur la reconnaissance que les gens veulent atteindre des buts dans leur vie et qu’ils font des choix intentionnels, donc conscients, dans une démarche continue de réalisation de soi. En utilisant une approche de coaching non directive, et en permettant aux clients de devenir le meilleur de ce qu’ils peuvent être dans un contexte de coaching, le coach démontre ainsi des comportements qui favorisent l’autonomie et la croyance d’auto-efficacité.
En conséquence, les coachs qui peuvent fournir aux personnes coachées le contexte et les occasions pour développer leur sentiment d’efficacité personnelle et la conviction qu’elles ont l’autonomie nécessaire pour se développer et résoudre leurs défis par elles-mêmes favorisent l’autodétermination et la satisfaction des besoins psychologiques cités dans cet article. La combinaison de ces éléments entraîne alors une performance accrue ainsi qu’un sentiment de bien-être.
Conclusion
Cet article avait pour objectif de présenter deux fondements scientifiques qui peuvent éclairer la pratique du coaching. Lier la pratique à la connaissance scientifique ne peut que rendre les coachs plus compétents auprès de leurs clients, mais de plus, il devient alors possible d’expliquer de manière plus informée les approches utilisées afin d’appuyer les clients dans leur démarche d’introspection et de réalisation de soi.
- Gabriel, Allison S., Moran, Christina M, & Brodie Gregory, Jane (2014). How can humanistic coaching affect employee well-being and performance? An application of self-determination theory. Coaching: An International Journal of Theory, Research and Practice. 7:1, 56-73, DOI:10.1080/17521882.2014.889184
- Rogers, Carl. R. (1961). On Becoming a Person. Boston: Houghton Mifflin Company.
- Rogers, Carl. R. (1996). Le développement de la personne. Paris : Dunod
- Maslow, Abraham, H. (1954). Motivation and personality. New York: Harper.
- Deci, Edward, L., Ryan, Richard M. (2000). The “what” and “why” of goal pursuits: Human needs and the self-determination of behaviour. Psychologial Inquiry, 11, 227-268. DOI: 101207/S153279665PLI1104_01
- Deci, Edward & Blaste, Richard (1996). Why we do what we do. New York: Penguin Books
- Spence, Gordon. B. & Oades, Lindsay, G. (2011). Coaching with self-determination in mind: Using theory to advance evidence-based coaching practice. International Journal of Evidenced Based Coaching and Mentoring. 9 (2), 37-55.