15 avril 2016

Coaching : cycles de la vie, sens de la vie.par Yvon Chouinard

La vie d’adulte

Selon des auteurs connus comme Daniel Levinson 1 et Erik Erickson,2 notre vie d’adulte est un long cycle qui se déroule en phases, une phase étant un état passager marqué par certaines caractéristiques reliées à l’âge que nous avons. Ces phases peuvent durer de 7 à 10 ans. Ces phases sont généralement associées à des périodes de transition que nous vivons chacun à notre manière.

Le livre de George Vaillant, Triumphs of Experience, qui raconte la vie de 31 hommes qui ont fait partie de l’Étude Grant durant laquelle des chercheurs de Harvard se sont relayés pour suivre pendant près de 75 ans 268 hommes admis à l'université de Harvard à la fin des années 1930 est d’un grand enseignement sur le grand cycle de la vie.3

L’intérêt de ce sujet pour le coaching est qu’assez souvent, nous ne percevons pas initialement ces phases du cycle de la vie comme un cadeau de la vie. Elles peuvent surtout générer de l’inconfort, de l’anxiété et de la résistance. Pour certaines personnes, cela peut parfois prendre le visage d’une crise.

Plusieurs autres auteurs ont exploré le sujet du développement de l’adulte selon ses âges. Au Québec par exemple, Renée Houde, notre grande experte en mentorat l’a approfondi dans son ouvrage Les temps de la vie. Le développement psychosocial de l’adulte selon la perspective du cycle de vie. 4, Mais le sujet a été peu associé à la pratique du coaching.

Les phases de la vie adulte ne peuvent se comparer aux stades de développement de l’enfant que le psychologue et biologiste Jean Piaget 5 a observés et décrits chez les enfants de la naissance à 16 ans. Même si les nouvelles données de la psychologie de l’enfant semblent indiquer que son modèle de « l’escalier » n’est pas le seul possible, tous les parents peuvent constater assez clairement les stades de développement de leur enfant.

Ces stades sont des étapes de progression qui se manifestent durant des périodes données de développement comme la période de l'intelligence sensorimotrice (de la naissance à 2 ans), ou la période des opérations concrètes ou de l'intelligence opératoire (de 6 à 10 ans). Par exemple, je peux observer l’intelligence opératoire et la capacité d’opérations concrètes de mon petit-fils Axel qui assemble seul, avec une rapidité remarquable, des jeux Lego comprenant 650 pièces. De 10 à 16 ans, ce sera la période des opérations formelles où l’enfant passe du concret à l’abstrait, du réel au possible. 5 Dans la réalité, les phases de développement de l’adulte sont beaucoup plus diffuses et complexes que celles de l’enfant.

Personne n’est en état de fixité

La philosophie existentialiste nous a enseigné que toute personne normalement constituée est en constante évolution. En d’autres mots, nous ne sommes pas fixes et nous ne sommes jamais terminés comme êtres humains. Seule la mort vient mettre fin à notre développement. Et c’est justement le sujet de la mort tel qu’abordé par Manfred F. R. Kets de Vries de INSEAD, dans un article de recherche intitulé Death and the Executive : Encounters with the « Stealth » Motivator, qui a attiré mon attention, car ce facteur motivationnel « furtif » (ou discret), pour reprendre l’expression de Kets de Vries, nous ramène à la question fondamentale de notre désir de vivre une vie utile et unique.6 C’est un objectif qui colore presque tout ce que nos clients partagent dans les entretiens de coaching.

Mais avant de commenter l’article de Kets de Vries, rappelons que le thème du développement de l’adulte a suscité peu d’intérêt jusqu’à maintenant dans le monde du coaching. Si Bernard Hévin et Jane Turner ont brièvement abordé ce thème dans leur livre Manuel de coaching : champ d’action et pratique, 7 et que quelques auteurs le présente en arrière-plan de leur théorie ou méthode, le seul qui s’y soit vraiment attaqué de manière sérieuse, est le Californien Frederic M. Hudson (1934-2015),  auteur de The Adult Years. Mastering the Art of Self-Renewal 8 qui a aussi rédigé un ouvrage sur le coaching qui en a découlé : The Handbook of Coaching. 9 Hudson était un expert dans le domaine du développement et du changement chez les adultes. Il affirmait qu’il est devenu de plus en plus difficile de relier les différents chapitres de notre vie de manière linéaire, comme les modèles de séquences typiques de développement selon l’âge comme Levinson et Erickson l’ont proposé.

Afin de mieux comprendre, rappelons que Levinson en était venu à la conclusion que la structure de vie est un ensemble organisé qui dispose dans un certain ordre de priorités l’importance que nous attribuons à notre travail, à nos amours, à nos amis, à notre vie sociale et à notre vie intérieure. Son modèle met en évidence la dimension cyclique des périodes de vie et l’alternance entre des périodes de stabilité et des périodes d’instabilité.

Quant à Erickson, selon lui, le développement du moi  se poursuit tout au long de la vie et procède en huit stades.  À chaque stade, la personne doit résoudre une crise, c’est-à-dire atteindre un équilibre entre deux pôles, l’un négatif, l’autre positif.

Toutefois, le coaching est plus proche de la typologie de Bernice Neugarten 10 qui considère que les changements sont surtout dus  aux événements qui surviennent et au moment où ils surviennent, ce qui s’applique plus concrètement à notre monde imprévisible, turbulent et fragile.

Le coaching : un espace de renouvellement

Hudson propose donc des stratégies de coaching pour faciliter les cycles de renouvellement que les individus traversent à différentes périodes de leur vie :

  1. Par exemple, dans une première phase, comme un nouveau défi, un nouvel emploi, ce que Hudson appelle le « Go for it »,  le rôle du coach est de maintenir le rêve vivant et de proposer des défis à la personne.
  2. Mais éventuellement, la routine peut s’installer (« The Doldrums ») et le coach peut alors aider son client à clarifier sa situation et considérer un certain nombre d’options. Si une option favorable se présente, le client peut alors simplement vivre une mini-transition et se retrouver assez rapidement dans le « Go for it ».
  3. Sinon, il est possible qu’il doive envisager une transition dans sa vie. Le coach l’amène alors à retrouver sa voix intérieure (« Cocooning ») et le soutenir pendant sa recherche d’une option satisfaisante pour la suite des choses.
  4. Finalement, le coach peut accompagner le client dans une dernière étape alors qu’il se prépare à relever de nouveaux défis (« Getting Ready ») en investissant dans son développement selon une nouvelle vision de lui-même ou de l’avenir, complétant ainsi une transition dans sa vie.
  5. Une transition de vie devient ainsi une reconstruction de soi et une exploration structurée d’options satisfaisantes pour son avenir. Le client est alors prêt à entreprendre un nouveau chapitre dans sa vie (« Go for it »). (Le graphique des phases de vie de Hudson illustre sommairement le modèle)

Les clients des coachs peuvent traverser ces chapitres de vie à des âges variés, mais la perspective qu’ils en ont sera très différente selon qu’ils ont vingt-cinq, trente-cinq, quarante, cinquante ou soixante ans. Selon Hudson, les gens ont souvent des idées préconçues par rapport à leur vision de la vie, par exemple, que l’âge amène le déclin. La vérité selon lui est que nous changeons à travers les ans, et chaque changement est un compromis entre des avantages et des désavantages.  Hudson dit que les coachs devraient être capables de maîtriser ce que les cycles de vie des adultes représentent pour leurs clients afin de pouvoir les accompagner adéquatement dans leur évolution.

Coacher les clients à travers leurs cycles de vie

Par exemple, avec les 20-30 ans un coach les aidera à développer leur identité d’adulte et façonner des habiletés de base de la vie.

Les  30-40 ans peuvent avoir besoin d’un coach pour éviter les excès associés à leur grande énergie tout en développant leur estime de soi et leur confiance en soi.

La période de 35-45 ans présente un plus grand défi pour les coachs alors que les clients peuvent traverser la crise du mitan de la vie. Ils réalisent alors leur mortalité de manière plus consciente. Ils commencent à compter le temps qu’il leur reste dans leur carrière, leur vie ou avant de prendre leur retraite, particulièrement lorsqu’ils commencent à dépasser la quarantaine. Le coach devient alors un soutien afin d’explorer les questions fondamentales de leur vie.

De 40 à 49 ans, les clients recherchent l’autonomie et plus de clarté dans leur vie. La spiritualité peut devenir une nouvelle préoccupation, surtout orientée vers le sens de la vie. Le coach joue alors le rôle de facilitateur pour les aider à réorganiser leur vie très occupée autour de leurs valeurs et de leur essence propre.

Les 50-60 ans sont plus susceptibles d’être dans le « ici et maintenant », de devenir à l’aise avec l’affirmation de soi, les compromis et la gestion des conflits. Ils sont susceptibles de demander à leur coach de les aider à faire la transition d’un mode d’activités intenses à un mode d’influence.

La principale tâche des coachs qui accompagnent des clients dans la soixantaine est surtout de les amener à rêver à nouveau, à développer une nouvelle vision qui leur permettra d’ajouter de la valeur à la vie.

La mort et les cadres supérieurs

Ce qui nous ramène à Kets de Vries que je citais au début de cet article, qui affirme que l’anxiété par rapport à notre mortalité est la principale force motivationnelle qui actionne nos comportements. Mais c’est une force subtile, furtive, niée même. La manière dont chacun de nous dénie la mort affecte non seulement la vie dans son sens le plus large, mais influence également la manière dont les gens se comportent dans les organisations. L’anxiété par rapport à la mort sous-tend la plupart des comportements et des actions des cadres supérieurs dans les organisations.

Certains se mettent en situation de suractivité pour supprimer leur anxiété, alors que d’autres tombent dans un état de résignation et parfois même de dépression en attendant la retraite. 

Un événement tragique comme la mort récente du commentateur politique Jean Lapierre dans un accident d’avion, avec son épouse et trois autres membres de sa famille, nous rappelle parfois l’inévitabilité de ce qui nous attend tous un jour ou l’autre. Perdre un être cher, avoir un accident ou une maladie sérieuse, perdre son emploi, vivre une séparation ou un événement traumatique sont autant d’événements qui peuvent amener nos clients à se remettre en question et à explorer le sens de la vie elle-même.

Comme l’a supposément dit le philosophe grec Socrate :  « une vie non examinée ne vaut pas la peine d’être vécue ». Or le coaching, à maints égards, est un examen de la vie qui nous permet d’entrer en contact avec des clients qui sont parfois moins effrayés de la mort que d’avoir une vie sans véritable sens. En fait, Ket de Vries souligne –ce qui est souvent le cas de nos clients – que ce qui semblait avoir un sens à un moment donné de leur vie peut soudainement ne plus en avoir.

Être un bourreau de travail (« workaholic») est une manière dysfonctionnelle de transformer l’anxiété de la mort. Ne pas préparer sa succession est un autre moyen que des entrepreneurs trouvent pour repousser leur anxiété, comme si la vie après eux ne pouvait exister. D’autres développent le « complexe de l’édifice » en tentant de laisser leur nom attaché à un édifice ou un autre moyen qui les rendra « immortels ».

Implication pour les coachs

Les aires de conscience des clients en coaching varient toujours selon les circonstances qu’ils vivent dans le présent avec parfois l’objectif d’envisager l’avenir avec une perspective différente, mieux adaptée, plus inspirante, plus satisfaisante ou plus réaliste.

Toutefois, la manière dont nous abordons ces événements dans notre pratique de coach, peut prendre une teinte très différente en fonction de l’âge du client. Comprendre la perspective existentielle de la personne à cet égard peut aider le coach à intervenir de manière plus pertinente et efficace dans son accompagnement. Par exemple, ne pas obtenir une promotion espérée à 28 ans peut n’être qu’une expérience d’apprentissage (une mini-transition) tandis que le même événement vécu à 48 ans peut signifier une redéfinition de carrière et de vie (une transition de vie).

D’un autre côté, les événements qui ont un impact sur la vie de nos clients n’arrivent pas toujours selon une conception linéaire des étapes de la vie ou d’une carrière considérées comme normales. Tout peut arriver à cause de l’instabilité, de l’incertitude et de la volatilité qui caractérisent notre monde. Il y a des événements qui ne se produisent pas toujours au moment où ils devraient se produire dans le cours normal de la vie de la plupart des gens et le recours à un coach compétent pour explorer les avenues de possibilités peut être une option tout à fait raisonnable.

Il s’agit donc d’un sujet relativement vaste et complexe.  Mais pour le coach qui veut aider son client à naviguer dans les méandres du sens de la vie,  il vaut la peine de cerner et explorer les impacts de ces combinaisons d’événements et du grand cycle de vie.


  1. Daniel J. Levinson. (1986) A conception of adult development. American Psychologist. 4, pp. 3–13. doi: 10.1037/0003-066X.41.1.3
  2. Erik H. Erickson (1980).  Identity and the life cycle. London : W. W. Norton & Company.
  3. George E. Vaillant (2012). Triumphs of Experience. The Men of The Harvard Study. Cambridge, MA: The Belknap Press of Harvard University Press
  4. Renée Houde (1986). Les temps de la vie. Le développement psychosocial de l’adulte selon la perspective du cycle de vie. Boucherville: Gaétan Morin éditeur.
  5. Jean Piaget et Bärbel Inhelder (2012). La psychologie de l’enfant. Paris : Presses universitaires de France.
  6. Manfred, F. R. Kets de Vries  (2014). Death and the Executive : Encounters with the « Stealth » Motivator. Faculty & Research Working Paper. INSEAD, 2014/11/EFE
  7. Bernard Hévin et Jane Turner (2007) Manuel de coaching : champ d’action et pratique. Paris : InterÉditions – Dunod
  8. Frederic M. Hudson (1999). The Adult Years. Mastering The Art of Self-Renewal. San Francisco: Jossey-Bass
  9. Frederic M. Hudson (1999) The Handbook of Coaching. New York: Jossey-Bass
  10. Bernice L. Neugarten (1986) The Meaning of Ages: Selected Papers B. L. Neugarten. Chicago: The University of Chicago Press
Yvon Chouinard ACC, CRHA