15 mars 2016

Avoir l’option de ne rien faire augmente la persistance pour atteindre des objectifspar Yvon Chouinard

L’option de ne rien faire

Choisir de ne rien faire ne signifie pas forcément de se croiser les bras ou de fermer les yeux. Dans la vie courante, en management ou en gestion de projet, par exemple,1 l’option de ne rien faire est un véritable choix que nous pouvons exercer.

Par exemple, un matin vous sortez du restaurant avec un double café espresso à la main et une pièce de monnaie de 2$ qu’on vous a remise lorsque vous avez payé votre café. Et c’est la seule petite monnaie que vous avez. Près de la porte, deux itinérants (A et B) vous demandent de l’argent. Vous n’avez aucune raison particulière de donner à l’un plus qu’à l’autre. Comme vous ne pouvez séparer la pièce de 2$ entre les deux personnes, il est fort probable que votre décision sera l’option 3, soit de ne rien donner et de garder votre 2$.      

L’option de ne rien faire est possible dans beaucoup de décisions que nous avons à prendre dans la vie. Mais deux chercheurs américains, Rom Schrift de Wharton et Jeffrey Parker de Georgia State University, ont aussi démontré que d’avoir une telle option augmente significativement notre persévérance à poursuivre ce que nous avons choisi de faire.2

Pour illustrer les résultats de leur recherche, prenons l’exemple de ce que plusieurs personnes ont vécu au début de l’année 2016, soit la décision de choisir un gymnase afin de perdre des kilos en trop ou pour se remettre en forme. Nous savons que le taux d’abandon s’élève à environ 50% entre le premier et le troisième mois suivant le début de l’abonnement au gym. 3 D’autres données mentionnent un taux d’abandon allant jusqu’à 80%. Donc, en général, le taux  de persévérance pour atteindre les objectifs motivant l’inscription au gym est relativement faible.

Or, selon l’étude de Schrift et Parker rapportée dans Psychological Science, il semble que si on nous donne le choix entre le gymnase A, le gymnase B et celui de ne pas nous abonner du tout à un gymnase, mais que nous choisissons A par exemple, les probabilités que nous continuions à le fréquenter  sont beaucoup plus grandes. En effet, les travaux des chercheurs démontrent que le simple fait d’avoir choisi A par rapport à ne rien faire, nous rend moins susceptible d’abandonner, car le choix du gymnase A fut alors un acte de volonté affirmée.

Le manque de persistance affecte aussi le coaching

Les auteurs expliquent que les individus doivent régulièrement choisir parmi différents plans d’action exigeant un engagement continu dans le but d’obtenir des bénéfices éventuels et parfois incertains. La capacité de persister, malgré l’adversité, affecte grandement la mesure dans laquelle l’individu pourra obtenir la récompense désirée. L’adversité, susceptible d’engendrer un incitatif à abandonner, peut prendre plusieurs formes : la place moins importante prise par l’ego, l’ennui, la saturation, et même la perception que l’effort exigé est trop grand pour l’utilité espérée, en sont quelques exemples.

En coaching, autant Peter J. Webb que Marshall et Kelly Goldsmith ont examiné les raisons pourquoi les clients abandonnaient en cours de route la poursuite de leurs objectifs et de leur programme de coaching. Pour Webb, le désir de changer n’est pas suffisant. Selon lui, le coach doit créer un état de dissonance cognitive inconfortable qui peut amener le client à vouloir réduire la dissonance, donc à persister dans l’atteinte de ses objectifs. C’est ce que fait l’option de ne rien faire, car ne rien faire n’est pas une option viable en état de dissonance cognitive.4

Pour les Goldsmith, les six raisons pour lesquelles les gens abandonnent la poursuite de leurs objectifs en coaching, particulièrement chez les leaders, sont le manque d’engagement envers le processus, le manque de temps, un niveau de difficulté plus élevé qu’anticipé, les distractions, des attentes de retombées à court terme déçues, et l’illusion qu’ils n’auront plus se préoccuper des sujets travaillés en coaching.5

L’orientation action du coaching

La persistance est un sujet important pour le monde du coaching. En effet, si les clients reçoivent des services de coaching afin d’atteindre des buts spécifiques, il est crucial que le processus de coaching lui-même les amène à persister dans leurs efforts afin d’obtenir les résultats souhaités.

Pour l’avoir observé moi-même à maintes reprises lors d’exercices de simulation de coaching, les coachs ont tendance à insister pour que le client passe à l’action afin d’atteindre ses objectifs. L’option de ne rien faire est très rarement considérée. D’ailleurs, parmi les onze compétences fondamentales de coaching reconnues par l’ICF, trois (9, 10 et 11)  d’entre elles sont orientées vers l’action et on laisse peu de place à cette possibilité.

Il  peut être utile d’offrir au client l’ alternative "ne rien faire", parce qu'elle nous enseigne quelque chose sur nos préférences et nous motive pour poursuivre notre effort en vue d’atteindre nos buts.

Description de la recherche

Donc, pour revenir à la recherche elle-même, l’hypothèse de base de Schrift et Parker était que le fait de choisir à partir d’un ensemble d’options rejetables augmentait la persistance dans le choix effectué.

Pour tester leur hypothèse, ils ont d’abord effectué trois expériences distinctes :

  1. Choix forcé: les participants devaient choisir entre deux jeux de mots cachés, soit des capitales de pays ou des acteurs connus.
  2. Choix rejetables: en plus des deux options qui leur étaient offertes dans l’expérience précédente, les chercheurs en ajoutaient une troisième, soit de ne pas participer à l’expérience (« ne rien faire »).
  3. Choix forcé avec trois options: un sujet de mots cachés, soit celui de danseurs de ballet connus, était ajouté dans cette condition. Cette nouvelle catégorie ne fut pas jugée intéressante par les participants, comparée aux capitales et aux acteurs.  

Les résultats de ces expériences ont démontré qu’il n’y avait pas de différence dans le temps que les participants ont passé dans les conditions 1 et 3. Cependant, ceux qui avaient l’option de « ne rien faire » et qui ont choisi l’un ou l’autre sujet, ont passé 40% plus de temps à l’accomplir, dans la condition 2.

Cependant, pour qu’elle ait l’impact voulu, l'option de ne rien faire devait être présentée en même temps que les options A et B.

Applications au coaching

Les auteurs de cette étude sont bien conscients que certains individus pourraient simplement faire juste cela : ne rien faire. Il s’agirait donc d’une stratégie risquée dans certains cas. D’autre part, il n’est pas certain que les effets mesurés à court terme se prolongeraient avec la même intensité à plus long terme. Toutefois, comme le taux d’abandon dans la poursuite d’objectifs se manifeste surtout au début, il est justifié de croire que l’effet de persistance au début permet au client de traverser la période la plus difficile.

Il est aussi possible de ne rien faire durant une certaine période de temps (minutes, heures, jours), pour prendre du recul afin de réfléchir à la situation, et de revenir – ou non – avec une réponse appropriée. D’ailleurs, le guru du management Peter Drucker a écrit dans son livre Management : « Il y a une question qu’un preneur de décisions se pose : « Est-ce qu’une décision est vraiment nécessaire ? ». Une alternative est toujours l’alternative de ne rien faire. »

Dans l’accompagnement de nos clients, il y a des sujets qui reviennent couramment et qui pourraient faire l’objet d’une telle analyse, comme la décision d'intervenir ou non lors d'une réunion par rapport à ce qu’une personne dit qui pourrait être incorrect ou incomplet. Il pourrait alors exister plusieurs raisons pour ne rien faire comme de  bien choisir ses batailles ou d’évaluer que les commentaires de la personne ont une importance négligeable.

Il faut donc utiliser l’option de ne rien faire en fonction de la situation vécue par le client.

 C’est pourquoi les coachs doivent développer d’autres stratégies qui pourraient inciter leurs clients à persister dans l’atteinte de leurs objectifs.

Par exemple, Peter Webb que nous avons cité plus haut propose d’utiliser un formulaire d’évaluation de la motivation du client, afin de le rendre conscient des écarts qui existent entre son désir de changement et sa volonté réelle de passer à l’action et de persévérer dans ses efforts. L’objectif de cet exercice est de créer un effet de dissonance cognitive chez le client qui voudra sans doute la réduire en développant une stratégie appropriée avec l’aide du coach.

Une autre stratégie relève de la méthode de gestion des projets, particulièrement dans le secteur de l’environnement où l’on considère les avantages ou les désavantages de ne rien faire. Une telle approche développée par l’OCDE pourrait aussi s’avérer utile dans le cadre de la pratique du coaching.

Conclusion

L’option de ne rien faire est une technique qui peut être utilisée non seulement par les coachs, mais aussi par les gestionnaires, les parents, les médecins, ou les professeurs, en se rappelant toutefois que si la réponse à la question « Qu’est-ce qui va arriver si je ne fais rien ? » est « Les choses vont se régler d’elles-mêmes. », il est alors préférable de laisser aller et de ne pas interférer. C’est une règle souvent ignorée par ceux et celles qui ont la tâche de prendre des décisions.



  1. John Simko. Project Management: Doing Nothing Is Always an Option. March 15, 2013. http://www.pmhut.com/project-management-doing-nothing-is-always-an-option
  2. Rom Y. Schriff et Jeffrey R. Parker (2014). Staying the Course: The Option of Doing Nothing and Its Impact on Postchoice Persistence. Psychological Science. 25 (3),  772-780
  3. Émilie Folie-Boivin. Du conditionnement, l'exercice physique. Comment commencer le sport et tenir sa résolution en six étapes faciles. Le Devoir, 6 janvier 2012.
  4. Peter J. Webb. Keeping it up! When desire to change is not enough. International Coach Federation Regional Conference, 5-7th July 2002, Sidney.
  5. Marshall Goldsmith and Kelly Goldsmith , Why Coaching Clients Give Up –And How Effective Goal Setting Can Make a Positive Difference. Published in Coaching for Leadership, Volume II, M. Goldsmith and L. Lyons, editors, Wiley, 2005
Yvon Chouinard ACC, CRHA