La notion d’insight en coaching de dirigeantspar Yvon Chouinard
Introduction – Qu’est-ce que l’insight?
La notion d’ «insight » en « coaching fait partie des effets souhaités par tous les coachs des entretiens qu’ils ont avec leurs clients. L’insight est habituellement défini comme la saisie soudaine de la solution d’un problème après une période plus ou moins longue de tâtonnement.
Selon le Grand dictionnaire terminologique du Québec, cette notion provient de la théorie de la Gestalt qui interprète le phénomène de la compréhension intuitive comme résultant non pas d’une expérience préalable, mais plutôt d’une brusque réorganisation de la façon de considérer une situation ou un problème.
Mais puisque au Québec nous sommes particulièrement sensibles à la présence de mots anglais dans notre langage, examinons si nous pouvons l’utiliser comme tel ou si nous devons y trouver une traduction adéquate. Le terme français intuition semble être celui dont le sens correspond le mieux à celui du terme anglais insight, l’intuition étant un jugement syncrétique qui n’est précédé d’aucune élaboration logique. Toutefois, le terme intuition ne rend pas toute la signification de ce qu’est l’insight et c’est pourquoi ce dernier terme est utilisé comme tel en français, car l’insight comporte une certaine justification logique et une possibilité d’analyse, ce qui n’est pas toujours le cas pour l’intuition. Nous devons toutefois souligner que le mot insight ne vient pas de directement de l’anglais mais de l’allemand (einsicht).
C’est dans cette perspective que la professeure Sophie Ménard a effectué une recherche sur la notion d’insight en coaching de dirigeants dans le cadre d’une thèse pour obtenir son doctorat en éducation à l’Université du Québec en Outaouais, en 20131. Madame Ménard est une andragogue, donc ayant un intérêt pour les questions relatives au développement de l’adulte, et qui possède une vingtaine d’années d’expérience en apprentissage et développement individuel et d’équipe, en particulier en faisant du coaching. Selon elle, le coaching offre l’application rigoureuse la plus achevée des principes andragogiques. Elle avait d’ailleurs déjà présenté ses idées à ce sujet lors du congrès mondial de l’ICF à Montréal, le 15 novembre 2008.
Depuis la publication de sa thèse, la chercheure a eu l’occasion de faire connaître les résultats de sa recherche à diverses reprises lors de conférences, et en particulier lors du congrès d’ICF Québec en octobre 2014. Dans sa thèse, comme il se doit, elle élabore plus amplement sur la notion d’insight et il pourrait s’agir d’une lecture très enrichissante pour tout coach, peu importe sa spécialité.
Dans ce court article, nous n’avons pas la prétention de résumer le contenu et les résultats de la thèse de 400 pages de la chercheure. En fait, nous allons nous contenter d’examiner comment cette recherche peut être utile pour les praticiens du coaching en comprenant mieux la notion d’insight.
Méthodologie de la recherche et types de participants
La principale question à laquelle voulait répondre l’étude de Sophie Ménard était de découvrir les stratégies d'intervention utilisées par les coachs de dirigeants lors d’un événement significatif comportant un insight.
À cet égard, la chercheure a retenu quatre types d’insight qui pouvaient se manifester, selon le modèle d'insight de Pascual-Leone et Greenberg : expérientiel, existentiel, cognitif comportemental et psychodynamique.2 Le modèle se divise en deux catégories, une première qui souligne l'expérience vécue immédiatement (expérientiel et existentiel) et la seconde qui se rapporte à l’expérience déjà vécue (cognitif comportemental et psychodynamique).
Le traitement d'une situation peut donc se faire par la perception immédiate de la situation et par l'émotion qui surgit (traitement affectif) ou par la réflexion rationnelle et conceptuelle (traitement cognitif).
Les données relatives aux stratégies d'intervention utilisées par les coachs pour favoriser l'insight dans le cadre de son étude, ont été recueillies à l'aide de l'observation directe des séances de coaching et analysées par la chercheure avec sa Grille d’analyse des interventions des coachs. Des entretiens ont aussi été menés auprès des coachs et des formulaires d’évaluation distribués aux clients.
Sept dyades coach-client, dont la démarche de coaching a duré de 3 à 6 mois, ont participé à la recherche.
Les coachs sélectionnés devaient posséder au moins 5 ans d'expérience comme coach de dirigeants, une certification d'une école de coaching reconnue par la International Coach Federation, 10 ans d'expérience en milieu organisationnel et une pratique du coaching qui favorisait au moins un type d'insight.
Tous les clients qui ont participé à la présente étude œuvraient dans le secteur public à titre de cadres de niveau intermédiaire ou supérieur, et ayant des responsabilités relatives à la gestion des ressources humaines ou financières.
L’importance de l’insight en coaching
Dans sa thèse, la chercheure Ménard nous rappelle que la plupart des études empiriques dans le domaine du coaching réfèrent à la conscience de soi et à l'insight comme facteurs essentiels à l'efficacité du coaching de dirigeants.
En effet, l'insight, parce qu'il influence la conscience de soi, favorise la transformation de la personne coachée et joue ainsi un rôle clé dans tout processus de coaching de dirigeants.
Évidemment, pour tous les coachs certifiés par l’ICF, un tel énoncé théorique ne les surprendra pas, car ils connaissent bien les onze compétences clés formulés par l’ICF qu’il faut maîtriser dans la pratique du coaching, dont celle de poser des questions qui devraient susciter la découverte et l’insight chez le client.
Des questions ouvertes peuvent alors amener le client à revoir ses idées préconçues et à créer plus de clarté, de possibilités ou de nouveaux apprentissages. La huitième compétence proposée par l’ICF stipule aussi que le coach devrait être capable de créer une prise de conscience chez le client à partir des multiples sources d’information qu’il reçoit, en les évaluant et en les interprétant.
La chercheure spécifie toutefois que selon Pascual-Leone et Greenberg, l'insight « ne constitue pas une fin en soi, mais l'étape initiale du processus de transformation, un processus en soi comportant des choix et de la restructuration de sens. Or, à la suite de l'émergence d'un insight, l'attention se déplace vers la transformation de l'expérience ce qui élargit le répertoire d'options de la personne pour une organisation de soi plus efficace. »
Différences entre l'insight, la conscience et la conscience de soi
Dans le monde du coaching, on a souvent tendance à assimiler de manière indifférenciée – donc à confondre- les concepts de conscience, de prise de conscience et d'insight. La chercheure spécifie que si les trois concepts coexistent et s’influencent mutuellement, ils sont quand même différents.
En citant le psychologue existentialiste Rollo May, Sophie Ménard spécifie que la conscience de soi est la conscience spécifiquement humaine qui nous permet de nous observer en tant que sujet dans l'univers, alors que la conscience est ce qui nous permet d’être à l'affût face à notre environnement et aux menaces qui en émanent. C’est ainsi que les animaux ont instinctivement une conscience des dangers extérieurs.
La conscience de soi est le fondement de la liberté psychologique et elle joue un rôle crucial dans la transformation des dirigeants car une meilleure connaissance de soi permet une autoévaluation plus juste. « Par ailleurs, » écrit la chercheure, « c'est l'insight qui exerce la plus grande influence sur l'état de conscience de soi et des autres, par le déclenchement d'un processus de restructuration du sens donné à certaines expériences. »
Conclusion et implications pour les coachs
Trois des quatre formes d’insight ont été observées durant les entretiens de coaching (expérientielle, existentielle, cognitif comportementale). Elle a pu observer entre un à deux insights se manifester lors de chaque entretien.
La chercheure Ménard avait établi une liste initiale de 71 stratégies d’intervention probables lors des séances de coaching. Si 23 d’entre elles n’ont jamais été utilisées par les coachs, celles qui permettaient le plus souvent d’engendrer un insight au sein d’événements significatifs étaient les suivantes selon
- Faire verbaliser le client sans préciser le type d'information souhaitée
- Communiquer une information au client
- Faire verbaliser sur le plan des idées
- Faire verbaliser sur le plan des faits
- Faire verbaliser sur le plan affectif
- Faire verbaliser sur l’'efficacité des comportements
- Faire verbaliser sur le plan des intentions
- Développer des compétences
Ces stratégies étaient communes aux trois types d'insight observés. Quatre fois sur sept il s’agissait d’insights de type existentiel. Ce type d'insight « permet au client de vivre des prises de conscience qui se rapportent à une nouvelle perspective quant à sa manière de percevoir son vécu, de traiter l'information ou de construire sa propre expérience. »
Quant aux impacts des insights, il est rassurant de savoir que les réponses des coachs et des clients concordaient 17 fois sur 18.
Selon Sophie Ménard, les résultats obtenus dans son étude suggéreraient que les coachs utilisent des approches qui comportent le recours à la réflexion critique afin de susciter des insights. D’autre part, les exercices proposés par les coachs à leurs clients en dehors des entretiens de coaching ainsi que les stratégies utilisées pendant le coaching favorisent la conscience de soi et la conscience de son impact sur les autres.
Voilà donc une recherche qui apporte un éclairage précieux sur le travail des coachs.
- Ménard, S. (2013). L’étude des relations entre les stratégies d’intervention des coachs et les types d’insight dans le coaching de dirigeants. Travail présenté comme exigence partielle pour obtenir un doctorat en éducation à l’Université du Québec en Outaouais, en association avec l’Université du Québec à Montréal. http://www.archipel.uqam.ca/6103/1/D2638.pdf