Superviseur de coachs, un nouveau métier; comment s’y préparer?par Danièle Darmouni
Dans le livre « La supervision des coachs »[1], présenté lors du dernier congrès d’ICF-Québec comme une référence en la matière, nous rendions compte de la recherche que nous avions menée à partir d’une enquête sur la supervision en France et dans le monde auprès de superviseurs et de coachs supervisés. Pour en résumer les résultats, le fait d’être en supervision régulière dynamisait, selon eux leur professionnalisme tout en préservant des dangers et des dérives manipulatoires liés depuis toujours à la relation d’accompagnement.
Dans la dernière partie du livre, nous avions également questionné la façon de se préparer à ce qui apparaissait de plus en plus comme un nouveau métier : superviseur de coachs.
C’est cette question fondamentale que nous vous proposons d’explorer dans ce texte en découvrant les passages obligés pour, en conclusion, dégager les objectifs que devrait viser la formation des superviseurs.
Comment former à un métier émergent, donc encore inconnu ?
Cette passionnante question est à l’origine de la recherche sur la pédagogie du devenir que nous menons depuis près de 25 ans au sein d’International MOZAIK. Afin de répondre à la complexité et à l’incertitude émanant de cette question, nous engageons un dialogue permanent avec les paradoxes de ce voyage entre connu et inconnu. Ce voyage demande d’inventer en continu de nouvelles façons de rester en lien et de collaborer à l’émergence de nouveaux talents.
Notre recherche n’a pas révélé l’existence de méthodes ou d’outils différents de ceux du coaching auxquels il fallait absolument se former pour pouvoir superviser des coachs. Par contre, tous s’accordaient à dire qu’ils utilisaient ces outils « avec un autre état d’esprit » ou « une conscience élargie des enjeux».
Ce qui mène à de nouvelles questions stimulantes :
- Qu’est-ce qu’un « état d’esprit » et comment le transformer ?
- Comment revisiter nos outils pour en avoir une conscience élargie ?
Comment marcher ce chemin inconnu ?
Voici selon nous quelques passages obligés.
Apprentissage et Co-création
Aborder la transmission d’un métier en la reliant à l’ensemble des questions que soulève la nature complexe de la connaissance et de son apprentissage se révèle particulièrement fructueux. Les travaux d’Edgar Morin sur la pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude, et plus précisément de ceux sur la transmission des sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur[2] tracent des jalons.
Il s’agit « d’échapper à la pensée binaire et mutilante qui est partout aux commandes » pour partager une initiation « aux ambiguïtés, aux ambivalences, à l’écologie de l’action et à l’affrontement d’inévitables contradictions »[3]…
La traversée de l’inconfort… vers son autorité de superviseur
C’est un bien étrange voyage qu’entreprend le coach professionnel, lorsqu’il parvient au moment de son évolution où le rôle de superviseur de coach devient possible. Les demandes arrivent, l’envie d’y répondre s’impose peu à peu. Parmi les questions et les enjeux qui surgissent dans ce nouveau rôle, celui d’incarner le garant de la déontologie vient tout à coup brouiller les cartes. Assumer d’être le garant d’une déontologie et d’une éthique de la relation fait émerger la question de l’autorité du superviseur.
Il a pourtant fallu au coach professionnel des années pour arrêter de penser plus vite que son client, arrêter aussi d’avoir un projet à sa place et devenir un explorateur de l’inconnu à ses côtés. Ces acquis de coach sont fortement bousculés par le thème de l’autorité éthique du superviseur.
Certains superviseurs nient toute ambiguïté: ce n’est pas un vrai changement de métier, juste un autre cadre, un genre de coaching de coach, ma posture reste la même…
Pourtant, ramenée au contexte actuel de nos sociétés, la question de l’autorité est entière. Ce contexte se caractérise d’un côté par le doute et la perte de confiance dans les gens de pouvoir, favorisant le principe de précaution. En même temps, se manifeste le besoin de liberté et l’envie de secouer les vieux carcans pour améliorer la qualité de vie en société.
Pour le superviseur, accepter d’aller vers une posture d’autorité encore inconnue, c’est accepter de traverser d’abord l’inconfort. S’impose la nécessité d’une réflexion sans langue de bois sur le thème du pouvoir, ses dangers, ses limites et sur le contexte favorable dans lequel il peut se transformer en véritable puissance de concrétisation.
Co-créer une nouvelle façon d’exercer son autorité et la renouveler en continu
Co-créer est un art qui implique un cadre, des lois, des contraintes qui stimulent l’épanouissement de la créativité. Cela fait partie des paradoxes de tout ce qui est vivant.
Co-créer dans l’inconnu le métier de superviseur demande donc paradoxalement de poser le cadre de son autorité. Un cadre qui permet un nouveau partage de l’autorité pour la garder vivante et puissante tout au long du Voyage vers le Neuf. Un cadre où l’initiative et l’originalité de chacun ont une place ainsi que la rigueur, la discipline et le courage qui s’enracine dans le cœur.
Renouveler les Fondamentaux du Coaching
Renouveler sa posture suppose autant s’enraciner dans les fondements de la profession en renforçant l’essentiel que laisser partir ce qui nous entrave pour faire de la place à un nouveau commencement.
Selon les lois qui régissent la vie sur Terre, tout évolue dans un processus continu de gestation, de croissance et de mort dans un retour à la source comme étape de construction future et de renaissance. Ce processus de renouvellement empêche l’entropie destructrice et réveille notre dynamisme. Si ce dynamisme sait se réalimenter régulièrement à notre désir de vie, il nous redonnera de la souplesse, l’envie et l’audace de renouveler ce qui est devenu obsolète et encombrant dans notre quotidien, dans notre métier.
Se former à la supervision pourrait être :
- Mener à plusieurs une réflexion approfondie sur le sens et les enjeux de la nouvelle orientation vers le rôle de superviseur pour soi, pour ses clients, pour la profession.
- Expérimenter « en laboratoire » différentes formes et approches de supervision.
- Etre supervisé sur ses propres missions de supervision.
- Laisser émerger son style tout en validant et complétant ses compétences.
En traversant ces passages obligés, parions que les superviseurs sauront bousculer et renouveler les schémas qui ont été les socles de leur réussite de coachs. En alliance, coachs supervisés et superviseurs soutiendront le professionnalisme et le renouvellement en continu de notre métier, le coaching.
[1] Danièle Darmouni et David Hadjadj : « la supervision des coachs – Enjeux, pratique et méthode» Eyrolles 2010
[2] Edgard Morin : « Mon chemin » Fayard - 2008
[3] Edgard Morin : "Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur" Ed. Unesco (1999).