Le défi des gestionnaires-coachs : agir lors des occasions de coachingpar Yvon Chouinard
Depuis quelques années, il semble y avoir une tendance démontrant que les organisations demandent de plus en plus aux gestionnaires de coacher leurs employés.1 Un sondage récent du Chartered Institute of Personnel and Development (CIPD) de Londres, 2 révèle d’ailleurs que le coaching par les gestionnaires est jugé comme étant le deuxième moyen le plus efficace pour développer le personnel – après les programmes internes de développement - et qui plus est, se révèle trois fois plus efficace que le coaching réalisé par des coachs externes. Sans doute pas une bonne nouvelle pour les coachs externes, mais certainement une confirmation de l’efficacité du coaching lui-même comme outil de développement.
Le sujet du coaching des employés par leurs superviseurs n’est pas nouveau, car il a fait l’objet d’ouvrages et de guides il y a déjà une douzaine d’années. Ainsi, en 2003, Harvard Business School Publishing publiait un guide pratique intitulé On Coaching3 qui s’adressait aux gestionnaires. La même année, au Québec, Guy Gosselin et Michel Gendron lançaient Jouer son rôle de coach qui demeure un excellent guide de référence4. Toujours en 2003, le Conseil de la Communauté nationale des gestionnaires au Gouvernement fédéral publiait Pratiques de coaching pour gestionnaires à l’intention de la Fonction publique5. Et depuis ce temps, les ouvrages sur le gestionnaire-coach se sont multipliés, particulièrement aux États-Unis.
En réalité, il s’agit du retour aux gestionnaires d’un rôle qui avait été graduellement dévolu aux conseillers en ressources humaines depuis le début des années 80. En 1973, le guru du management Peter F. Drucker rappelait que les travailleurs, à tous les niveaux, sont en mesure de gérer leur propre performance seulement si on les informe immédiatement de ce qu’elle est, une tâche qui incombait directement aux gestionnaires, selon Drucker. 6
Malgré le fait que le coaching informel effectué par les gestionnaires soit reconnu comme une pratique qui a beaucoup de valeur et un moyen efficace pour aider les gens à se développer, il a toutefois été observé que les gestionnaires n’utilisent pas encore le coaching aussi fréquemment que possible, surtout lorsqu’ils pourraient le faire de toute évidence, et s’ils en font, souvent ils ne démontrent pas qu’ils possèdent les habiletés associées à l’approche coaching.
Christina Turner de Queensland University of Technology et Grace McCarthy du Sidney Business School, en Australie, ont voulu identifier les facteurs qui incitent les gestionnaires à profiter des occasions (ou « moments de coaching ») qui se présentent à eux pour intervenir auprès de leurs employés.7
Un « moment de coaching » est une occasion informelle, habituellement non planifiée, ou imprévue pour un gestionnaire, d’avoir une conversation avec un employé, ayant pour but d’aider ce dernier à résoudre un problème ou apprendre d’une expérience de travail. Le but du coaching est de faciliter l’apprentissage par la personne elle-même plutôt que de lui donner des instructions, des solutions, ou de lui enseigner comment faire.
Selon les chercheures, si nous pouvons comprendre les facteurs qui amènent les gestionnaires à profiter de tels moments pour coacher leurs collaborateurs, les organisations pourront alors mieux les soutenir dans ce rôle clé de développement de leur personnel.
Les facteurs incitatifs au coaching
Comme il n’existait pas de recherche empirique sérieuse sur le sujet des moments (ou des occasions) de coaching, à part quelques articles plutôt anecdotiques de quelques coachs, les auteures de la recherche ont choisi d’entreprendre une étude quantitative auprès de dix gestionnaires, en utilisant la méthode de l’incident critique tel que défini par John Flanagan, soit une activité humaine qui soit suffisamment complète en elle-même pour permettre qu’on en tire des inférences ou des prédictions à propos de la personne qui l’accomplit.8
La portée de l’étude est cependant limitée par le fait que les gestionnaires travaillaient dans la même université et qu’ils avaient tous suivi une formation de sensibilisation au coaching au cours des six mois avant le début de la recherche.
Lors des entrevues d’une durée d’environ une heure, les participants devaient décrire des exemples spécifiques d’occasions de coaching qu’ils avaient vécues, s’ils avaient décidé ou non d’intervenir avec du coaching, et ce qui avait motivé leur décision de coacher ou non l’employé. Dans une deuxième séquence de questions, les participants devaient fournir des exemples de moments de coaching qui avaient existé avec leur propre supérieur immédiat et s’ils avaient alors obtenu du coaching ou non de leur superviseur.
Six thèmes généraux ayant influencé leurs décisions de profiter ou non des occasions de coaching qui s’étaient présentées à eux, sont ressortis parmi tous les facteurs identifiés par les participants :
- la prise de conscience du coach
- le type d’employé
- la relation avec l’employé
- la situation qui se présentait
- l’environnement physique ou le lieu
- les habiletés de coaching du gestionnaire.
La prise de conscience du coach
Tous les participants ont indiqué que leur décision de coacher ou non faisait partie d’un processus délibéré et conscient d’évaluation de plusieurs éléments, dont celui du risque associé aux conséquences d’une démarche de coaching qui ne serait pas bien accueillie par l’employé.
Le type d’employé
Les participants avaient aussi le sentiment que tous les employés ne sont pas coachables. Les facteurs constituant la notion de coachabilité variait d’un participant à l’autre, allant d’un employé qui n’a pas encore assez d’expérience pour faire un apprentissage valable, à quelqu’un d’agressif ou de relation difficile, ou d’autres qui n’étaient tout simplement pas intéressés à se développer. Par contre, les participants ont dit que les occasions de coaching les plus favorables étaient celles où les employés eux-mêmes demandaient du feedback, ce qui était perçu comme sans risque et bien accueilli par les gestionnaires.
La relation avec l’employé
La relation existante entre le gestionnaire et le coaché potentiel était considérée comme cruciale par les participants dans le but de décider s’il fallait profiter d’une occasion de coaching qui se présentait. En effet, les concepts de confiance mutuelle et de respect devaient être présents. Dans le cas contraire, ils n’utiliseraient pas une occasion de coaching.
La situation qui se présentait
Les participants ont affirmé qu’ils faisaient consciemment une évaluation de l’occasion de coaching en fonction de l’investissement de temps requis par rapport à l’apprentissage probable par l’employé. Par exemple, dans certains cas, ils jugeaient qu’il était préférable d’adopter une approche plus directive avec l’employé plutôt que de prendre le temps nécessaire pour le coacher. Les facteurs clés reliés à une telle décision étaient le niveau de difficulté ou d’ambiguïté par rapport à l’occasion d’apprentissage ainsi que le niveau de risque pour le gestionnaire et l’employé d’entreprendre une démarche de coaching.
L’environnement physique ou le lieu
La majorité des participants ont fait valoir que l’environnement physique était un élément clé afin de décider de profiter ou non d’une occasion de coaching. Dans la majorité des cas, les participants ont dit que le coaching avait lieu en dehors du bureau du gestionnaire ou de l’employé, ou d’un espace formel de travail. Du coaching se produisait lors de déplacements dans un véhicule, en marchant dans les environs des lieux de travail ou autour d’un café à la cafétéria ou ailleurs. L’objectif étant généralement de niveler la relation et de lui donner un caractère informel.
Les habiletés de coaching du gestionnaire
Le sentiment de compétence du gestionnaire par rapport à ses habiletés de coaching était un autre facteur qui pesait lourd dans la décision de coacher ou non un employé lorsqu’une occasion se présentait. Cependant, ils ont dit que la formation qu’ils avaient reçue afin de les initier aux techniques de coaching leur avait donné le sentiment d’être plus compétents lors de situations difficiles et avait augmenté leur sensibilité pour reconnaître des occasions de coaching. Cependant, ils ont aussi unanimement reconnu que leurs compétences en coaching avaient été vraiment mises à l’épreuve avec des employés dont les relations interpersonnelles étaient plutôt abrasives ou agressives.
Implications pour les coachs
Même si cette étude s’intéresse essentiellement aux gestionnaires qui sont appelés à faire du coaching, ces derniers reçoivent généralement leur formation de coachs accomplis. Il est donc important pour ces coachs de comprendre les défis auxquels sont confrontés les gestionnaires lorsque vient le temps pour eux d’affronter des situations réelles de coaching où ils doivent décider d’utiliser ou non leurs habiletés de coaching.
D’autre part, les responsables des programmes de formation et de développement dans les organisations devraient maintenant être sensibilisés au fait que l’initiation aux approches de coaching est très importante, sinon nécessaire, afin que les gestionnaires se sentent plus compétents pour assumer le rôle de coach auprès de leur équipe.
De plus, les coachs externes qui accompagnent des gestionnaires dans des relations de coaching professionnel, devraient y puiser matière à réfléchir avec leur client, afin de les accompagner plus efficacement dans leur rôle de gestionnaire-coach. Il est particulièrement important de travailler avec les clients sur leur perception de risque associée à une intervention de coaching. Cet élément de risque qui ressort des résultats de la recherche n’avait pas été anticipé par les auteurs dans leurs hypothèses initiales.
Finalement, les résultats de la recherche de Turner et McCarthy, nous informent plus clairement à propos de l’importance des conversations informelles de coaching, et particulièrement des « moments de coaching » dans la création d’une culture de coaching dans une organisation. En effet, si les gestionnaires sentent qu’ils bénéficient d’un soutien organisationnel pour faire du coaching, il est alors plus probable qu’ils profiteront plus fréquemment de ces occasions spontanées de coaching avec leurs employés, au lieu d’attendre de faire du coaching selon un mode structuré ou formel et moins risqué pour eux.
- Anderson, V., Rayner, C. & Schyns, B. (2009). Coaching at the Sharp End: the role of line managers in coaching at work, London: CIPD
- Chartered Institute of Personnel Development (CIPD) (2012). Learning and Talent Development Annual Survey Report, London: CIPD.
- Harvard ManageMentor. On Coaching. A practical Guide to Improving the Performance of People. Boston: Harvard Business School Publishing.
- Gosselin, G. & Gendron, M. (2003) Jouer son rôle de coach. Montréal : Groupe Conseil CFC.
- La communauté nationale des gestionnaires. (2003). Pratiques de coaching pour gestionnaires. http://www.managers-gestionnaires.gc.ca/documents/coaching_practices-pratiques_de_coaching-fra.pdf
- Drucker, P.F. (1973). Management. Tasks, Responsibilities, Practices. New York: Harper & Row
- Turner, C. & McCarthy, G. (2015). Coachable Moments: Identifying Factors that Influence Managers to take Advantage of Coachable Moments in Day-to-Day Management. International Journal of Evidence Based Coaching and Mentoring. 13 (1). http://ro.uow.edu.au/cgi/viewcontent.cgi?article=1626&context=buspapers
- Flanagan, J.C. (1954). The Critical Incident Technique. Psychological Bulletin, 51 (4).