15 janvier 2015

Chronique de recherche en coaching : Développer le leader comme coach : pas si simple!par Yvon Chouinard

Le gestionnaire dans son rôle de coach

Dans quelle mesure un leader, un gestionnaire doit aussi être un coach? Pour trouver une réponse à cette question, nous pouvons sans doute observer l’évolution du contenu des programmes de développement de leadership dans les organisations. À cet égard,  il existe une tendance mondiale croissante afin d’y intégrer l’acquisition d’habiletés de coaching. En effet, si être coach semble émerger de manière innée chez certains gestionnaires, la très grande majorité d’entre eux par contre, doivent développer les habiletés liées au rôle de coach que sont en particulier  l’écoute, le questionnement et le feedback.

Développer ses collaborateurs est un des rôles les plus importants que puisse jouer un gestionnaire pour mobiliser ses troupes et contribuer au succès de son organisation.  Dans le monde du sport, peu d’athlètes réussissent à se dépasser sans être accompagné par un coach qui les aide à identifier leurs forces et les angles morts qui les empêchent de performer à leur plein potentiel. Dans celui des organisations,  un gestionnaire peut certes jouer un rôle similaire auprès de ses collaborateurs. Plusieurs ouvrages ont déjà été écrits sur le sujet au cours des années - vous en trouverez d’ailleurs un échantillon  à la fin de cet article – mais développer des habiletés de coach n’est pas un exercice aussi simple qu’il n’y paraît d’abord.

Trop souvent les organisations, après avoir investi temps, effort et argent pour développer les habiletés de coaching de leurs leaders et gestionnaires, réalisent que malgré l’enthousiasme élevé du début, ils ne réussissent pas à conserver et pratiquer les habiletés de coaching apprises lors de la formation, et retombent éventuellement dans leurs comportements de commandement et contrôle.  Comme l’ont constaté plusieurs chercheurs,  il est en effet difficile de changer de vieilles habitudes1.

Une étude australienne éclairante

Anthony M. Grant, directeur du département Psychologie du coaching à l’Université de Sidney en Australie, un des pionniers  d’envergure internationale dans la psychologie du coaching, et Margie Hartley, consultante et coach exécutive, se sont penchés sur le sujet du leader comme coach dans un article publié dans la revue  Coaching : An International Journal of Theory, Research and Practice. 2

Leur article commence par nous rappeler qu’il faut du temps aux leaders afin de développer des habiletés de coaching dans leur travail. D’ailleurs, dans une autre étude publiée en 1990, Grant avait démontré qu’il fallait aux gestionnaires entre trois et six mois pour devenir relativement confortables dans l’utilisation d’habiletés de coaching.

C’est en puisant dans la littérature scientifique, mais surtout en s’inspirant de leur propre expérience de conception et d’implantation de programmes de développement de leaders comme coach (« Leader as Coach ») que les auteurs nous éclairent sur les défis présentés par l’intégration d’habiletés de coaching chez les gestionnaires, en plus de nous offrir un éventail des conditions requises pour y arriver – d’où surtout l’intérêt de leur travail de recherche.

Ils empruntent particulièrement de leur travail  avec la cinquième plus grande banque au monde, la Commonwealth Bank of Australia, une organisation comptant 52 000 employés, dont 3 000 gestionnaires ont suivi un programme de « leader comme coach ».

Constatations générales

Les auteurs rapportent que le succès de l’intégration des habiletés de coaching débute par une conception adaptée du programme des ateliers de formation.  Si le programme doit s’appuyer sur la meilleure recherche scientifique à propos du coaching, il doit aussi  être clairement basé sur les réalités vécues (« evidence-based »), sur des faits dans lesquels les gestionnaires peuvent se reconnaître.

La livraison du programme doit également éviter les surcharges cognitives en découpant le contenu en petites doses faciles à se rappeler. À cet égard, ils suggèrent d’utiliser la méthode des intervalles (« spaced-learning ») qui consiste à faire revoir le contenu de l’atelier à des intervalles très précis  (exemple : 3 jours, 10 jours, 30 et 60 jours) après le premier apprentissage. La durée de ces intervalles est, d’après des études scientifiques 3, celle qui maximise la mémorisation à long terme. Il faut aussi favoriser l’apprentissage coopératif, encourager la personnalisation du matériel en invitant les participants à exprimer les idées et les concepts du programme dans leurs propres mots.

Mais plus important encore est l’incitation très forte à pratiquer les habiletés de coaching nouvellement apprises dès leur retour au travail. Ils doivent ainsi tenir des séances de coaching et les documenter proprement afin de renforcer leurs apprentissages. De plus, ils ont la possibilité de participer  à des groupes  de discussion entre pairs afin de partager leurs expériences de coaching. Ces groupes continuent ensuite à se réunir régulièrement.

D’autre part, les auteurs recommandent que les gestionnaires reçoivent de la supervision en groupe avec un coach expérimenté afin de leur permettre de discuter avec un expert  les problématiques vécues dans leurs séances de coaching. Il s’agit d’un élément important dans le développement de leurs habiletés de coaching.

Le programme doit être très pratique

Le lien entre la théorie et la réalité doit être parfaitement établi car les participants ont besoin de constater des résultats positifs immédiats sur le terrain. La théorie n’a de sens que si elle a des applications pratiques pour les gestionnaires.

La plupart des programmes de formation de coaching professionnel sont conçus en vue de situations formelles de coaching, où les rencontres sont planifiées, avec des objectifs explicites, les séances ayant un début et une fin clairs, et où presque toute la conversation se déroule dans un mode coaching. Or, le coaching  fait par les gestionnaires diffère grandement du coaching professionnel. En effet, le coaching des gestionnaires se déroule davantage sur un mode continu  qui peut aller d’une séance structurée à une conversation informelle spontanée dans un corridor, où les techniques de coaching sont utilisées de manière plus implicite. En fait, ce genre de coaching informel représente la majorité des conversations de coaching que les gestionnaires vivent dans les organisations.

À ce propos, selon les auteurs, ce qui a aidé les gestionnaires à mieux jouer leur rôle de coach, fut de bien faire comprendre les trois principaux  types de coaching qu’ils sont généralement  appelés à faire :

  1. Coaching d’habiletés : développement d’habiletés spécifiques, comme des habiletés de communication, de vente ou de présentation ;
  2. Coaching de performance : pour améliorer la performance d’un individu sur une période donnée. Survient souvent après une évaluation de performance ;
  3. Coaching de développement : pour développer des dimensions plus stratégiques du perfectionnement professionnel et personnel, comme l’amélioration de compétences émotionnelles ou de gestion d’équipe.

Facteurs de succès additionnels du programme

Afin qu’un programme de développement des gestionnaires comme coach soit bien intégré dans l’organisation, il est nécessaire qu’il soit aligné avec les besoins et les valeurs de l’organisation et promu comme tel, à travers un effort de communication continue dans le but de créer une image forte et positive du programme.

Il est aussi important que des leaders influents de l’organisation modèlent les comportements espérés d’un coach et se fassent ainsi les champions de l’approche.

Les auteurs ont aussi remarqué qu’il est préférable que le programme ne soit pas obligatoire.  Une stratégie clé pour disséminer l’approche de leader-coach est plutôt de recruter initialement des gestionnaires enthousiastes et influents qui pourront devenir par la suite, les porteurs d’un message positif du coaching auprès des autres membres de l’organisation.

Un autre facteur de succès est l’engagement des professionnels en ressources humaines envers l’implantation du programme et le suivi auprès des gestionnaires. Dans le cas où une organisation ne possède pas un service de ressources humaines suffisant pour soutenir un tel programme, les auteurs recommandent de nommer un ou une « Chef du coaching » parmi les gestionnaires.

Une méthode sous-utilisée : les conseils, les trucs, les rappels et les mises à jour

Finalement, les auteurs ont réalisé que l’un des outils les plus efficaces (et apprécié) fut l’utilisation de courriels réguliers (une fois par semaine ou toutes les deux semaines) qui rafraichissaient la mémoire des gestionnaires à propos de diverses techniques de coaching spécifiques ou encore pour leur donner des conseils (trucs) très précis. Chaque conseil est présenté avec un titre qui le résume. Suivent un texte descriptif ainsi qu’une suggestion pour pratiquer l’habileté de coaching présentée dans le conseil. Voici un des exemples proposés par les auteurs, chaque conseil étant précédé par le texte suivant :

S’il-vous-plaît prenez un moment pour lire et réfléchir à ce conseil et pensez à comment vous pourriez appliquer ces idées dans votre travail aujourd’hui et au cours des prochains jours.

Conseil 2

PORTER ATTENTION À LA MANIÈRE DONT J’ÉCOUTE

Description : La manière dont nous écoutons détermine ce que nous entendons et comment les autres nous perçoivent. Mais nous pensons rarement à nos styles d’écoute. Comment écoutez-vous? Êtes-vous centré sur les gens? Est-ce que vous écoutez pour saisir le sens de ce qui est dit, ou si vous essayez plutôt de trouver ce qui cloche? Est-ce que vous portez des jugements catégoriques quand vous écoutez? Est-ce que vous devenez impatient lorsque vous écoutez car vous n’avez pas le temps? Quel effet votre style d’écoute a-t-il sur vos relations au travail?

Suggestion d’action à poser : Aujourd’hui, je vais  faire attention à la manière dont j’écoute les autres, et ajuster mon mode d’écoute pour devenir un meilleur coach et quelqu’un qui écoute mieux.

 

 

Conclusion

Même si les bénéfices d’une culture de coaching constructive dans une organisation ont déjà été bien documentés par Lloyd 4 en particulier, les auteurs Grant et Hartley rappellent que  mener un changement culturel dans toute organisation n’est jamais facile. Et leur expérience nous indique que c’est particulièrement le cas lorsqu’on veut que ses leaders et gestionnaires adoptent des habiletés de coaching dans leur rôle au quotidien.

Ils nous démontrent par exemple que ce n’est pas la tenue d’un atelier de formation sur le rôle de leader comme coach qui peut amener des changements de comportements et encore moins un changement de culture dans une organisation qui veut développer des habiletés de coaching chez ses leaders.

Toute démarche pour favoriser l’utilisation d’habiletés de coaching par des gestionnaires nécessite avant tout un alignement avec les objectifs de l’organisation, mais aussi une approche pratique dans laquelle les gestionnaires pourront y trouver des bénéfices immédiats applicables dans leur action sur le terrain.

OUVRAGES À CONSULTER

Harvard Manage Mentor. (2003) On Coaching. A Practical Guide to Improving the Performance of People. Boston: Harvard Business School Publishing.

Gosselin, G. et Gendron, M. (2003) Jouer son rôle de coach. Montréal : Groupe conseil CFC

Kinlaw, D. (2005). Adieu patron! Bonjour coach! Montréal: Éditions Transcontinental.

Moyson, R. (2001). Le coaching. Développer le potentiel de ses collaborateurs. Bruxelles : De Boeck & Larcier

Peterson, D.B. et Hicks, M.D. (1996). Leader as Coach. Minneapolis : Personnel Decisions International.

Stowell, S. J. & Starcevich, M. M. (1998) The Coach. Creating Partnerships for a Competitive Edge. Sandy: Center for Management and Organisation Effectiveness.


 

  1. Prochaska, J.O., Velicier, W.F., Rossi, J.S., & Goldstein. M. G. (1994). Stages of change and decisional balance for 12 problem behaviors. Health Psychology, 13 (1), 39-46.
  2. Grant, A. M. & Hartley, M. (2013). Developing the leader as coach: insights, strategies and tips for embedding coaching skills in the workplace. Coaching: An International Journal of Theory, Research and Practice, 6:2, 102-115.
  3. Fields, R. D.  (2005), Making Memories Stick, Scientific American, 292 (2), 58–63
Lloyd, B. (2005). Coaching, culture and leadership. Team Performance Management, 11 (3/4), 133-138.
Yvon Chouinard ACC, CRHA