Chronique de recherche en coaching : Peut-on vraiment gérer le temps?par Yvon Chouinard
La notion de temps est variable
La notion de temps a tendance à varier selon le contexte individuel. Pour l’astrophysicien qui scrute les confins de l’univers le temps se mesure en milliards et millions d’années. Pour le sprinter olympique, une place sur le podium peut dépendre de quelques millièmes de secondes. Pour la femme enceinte il se mesure en mois et semaines.
Toutefois, peu importe la perspective individuelle, le temps est mesuré par des valeurs constantes qui s’appliquent uniformément. Alors, pourquoi parle-t-on de gérer son temps? En effet, à moins de le concevoir selon la théorie générale de la relativité d’Einstein, il est impossible d’étirer ou de raccourcir le temps. Rappelons que selon la théorie de la relativité plus vous êtes éloignés de la Terre, plus le temps passe vite. Cela signifie que même si les différences sont infinitésimales, vous vieillirez plus vite si vous habitez à un étage élevé d’un gratte-ciel que dans un bungalow. Ainsi, en vous élevant de seulement quelques marches de hauteur, vous perdriez 90 milliardièmes de seconde sur une durée de vie de 79 ans. En vous déplaçant à environ 3 mètres de hauteur dans un escalier, vous vieillirez plus rapidement de 900 milliardièmes de seconde. Voilà donc le maximum d’effort que vous pouvez faire pour gérer votre temps1.
L’industrie de la gestion du temps
Et pourtant, ce ne sont pas les formations et les ouvrages qui manquent pour nous convaincre que nous pouvons effectivement gérer notre temps. Or, plusieurs études s’intéressant aux améliorations concrètes générées par les formations en gestion du temps, ont démontré qu’elles avaient peu ou pas du tout d’effet sur les comportements dits de « gestion du temps », ainsi que sur la satisfaction au travail et la performance. Considérant les sommes importantes investies par les organisations dans la formation en gestion du temps, comment se fait-il que l’impact soit si limité?
C’est la question que se sont posée les auteures d’une recherche récemment publiée dans International Journal of Evidence-Based Coaching and Mentoring (Boniwell, Osin et Sircova, 2014). 2 Cet article a pour objectif de résumer les résultats de leur recherche sur les perspectives de temps des clients en coaching, en interprétant de multiples observations qui ont été faites dans le cadre de relations de coaching ainsi qu’en examinant la littérature scientifique à ce sujet.
La place du temps dans nos vies
Le temps occupe une place centrale dans notre vie. Plusieurs coachs rapportent d’ailleurs que le nombre de clients ayant des problèmes reliés au temps augmente sans cesse, que ce soit à propos de la conciliation travail-famille, de l’incapacité à rencontrer les échéances, de la difficulté à compléter leur liste de choses à faire, de répondre à tous les courriels, ou simplement du sentiment de ne plus avoir de contrôle sur leur vie.
Or, les auteures de la recherche croient que le paradigme de gestion du temps véhiculé par les innombrables ouvrages et programmes de formation sur la gestion du temps fait fausse route en mettant toute l’attention sur les comportements au lieu de s’intéresser à la psychologie du temps, ainsi que sur l’efficience au lieu de la satisfaction personnelle et d’un équilibre général de vie. D’autre part, elles estiment que les promoteurs des méthodes de gestion du temps proposent des stratégies uniformes qui ne tiennent pas compte des différents besoins individuels.
Le paradoxe du temps selon Zimbardo
En se basant sur les travaux de Philip Zimbardo et John Boyd3, les auteures suggèrent que des interventions de coaching basées sur l’approche de perspective du temps de chaque individu auront plus de succès avec les clients qui disent avoir des problèmes de gestion du temps que les propositions actuelles.
En effet, Zimbardo et Boyd affirment que la perspective du temps est une dimension fondamentale dans la construction du temps psychologique émergeant des processus cognitifs qui partitionnent l’expérience humaine entre les perspectives temporelles du passé, du présent et du futur. Selon cette analyse, nous pouvons constater que certains individus sont davantage orientés vers l’avenir, alors que d’autres se concentrent sur le présent ou le passé.
Pour connaître la perspective d’un individu en coaching par rapport au temps, il est possible d’utiliser le test Zimbardo Time Perspective Inventory (ZTPI), disponible gratuitement en français sur Internet (http://www.psychomedia.qc.ca/tests/perspective-temporelle) ou dans sa version originale anglaise (http://www.thetimeparadox.com/zimbardo-time-perspective-inventory).
Il évalue cinq types de perspectives temporelles : passé négatif, passé positif, présent fataliste, présent hédoniste et futur. Tous ces types de perspective peuvent exister dans la vie de chacun d’entre nous à un moment ou à un autre, mais généralement, une ou deux de ces perspectives sont dominantes chez un individu. L’objectif d’une intervention de coaching serait de faire émerger une perspective de temps équilibrée qui serait reconnaissable lorsqu’un individu obtiendrait des résultats élevés sur les trois orientations temporelles positives (passé positif, présent hédoniste et futur) et des résultats faibles sur les orientations passé négatif et présent fataliste.
Le test ZTPI a été validé dans 24 différents pays. Il compte 56 questions, et a été développé en s’inspirant de la théorie du champ de Kurt Lewin, qui soutient que l’espace de vie comprend tous les faits qui ont une réalité pour la personne et exclut tous ceux qui n'en ont pas. Ainsi, si une personne est centrée sur un passé négatif, le futur peut être négligeable dans sa réalité.
Lewin s’appuyait sur sa propre expérience de soldat dans les tranchées durant la première guerre mondiale. Il soutenait que le paysage n’apparaît pas de façon identique à un soldat qui fixe chaque élément du décor, car il craint à tout moment pour sa vie, alors qu’un promeneur solitaire est perdu dans ses pensées et ne cherche pas à voir distinctement chaque détail du décor.
Stratégies de perspective du temps en coaching
À moins que le coach ait une formation en interprétation de tests psychométriques, son rôle n’est pas tant de communiquer et expliquer les résultats du test ZTPI au client que de l’accompagner afin qu’il puisse donner lui-même un sens aux résultats, utilisant les réactions du client comme des déclencheurs pour avoir une conversation approfondie avec ce dernier sur la notion de perspective du temps.
Par exemple, quelles sont les histoires que le client se raconte à lui-même et à quelle fréquence? Quel est le ton de ces histoires – positif, neutre ou négatif? À quelle fréquence le client se retrouve-t-il à penser au passé? Quels sont les souvenirs qui lui viennent à l’esprit et de quelle nature sont-ils (positive, négative)? À quelle distance dans le futur le client projette-t-il ses aspirations et ses espoirs? Quels sentiments le client ressent-il à propos de ce qu’il a besoin d’arrêter de faire, de commencer ou de continuer à faire dans sa routine quotidienne pour atteindre les buts qu’il espère réaliser?
Le travail subséquent en coaching peut se concentrer sur l’augmentation de la conscience du coaché par rapport à des réponses improductives associées à ses orientations temporelles coutumières. Le coach peut aussi amener le client à concevoir des stratégies pour développer des zones temporelles sous-utilisées. De plus, il peut être important de créer des liens entre les espaces de vie du passé, du présent et du futur de manière à développer de la continuité dans l’histoire de la vie du client.
Chaque perspective de temps nécessite une stratégie différente dans la relation de coaching. Par exemple, si une personne a une forte perspective négative du passé en raison d’un événement particulier, le coach peut demander à son client d’écrire durant au moins 20 minutes, quatre jours consécutifs, à propos de ses émotions et de ses pensées à cet égard.
Dans le cas d’un client qui a une perspective fataliste du présent, le coaching peut l’aider à identifier et remettre en question les activités improductives qui l’occupent. Le but de cette approche n’est pas simplement d’apprendre des comportements spécifiques, mais de développer une capacité de choix et d’autonomie qui aura un impact dans la réalité, le client adoptant alors une attitude proactive plutôt que réactive.
Conclusion
La perspective de temps est essentiellement une tendance subjective qui nous amène à donner plus ou moins d’importance aux divers aspects de notre expérience humaine. Différentes questions peuvent être utilisées par le coach afin de faire ressortir les perspectives utilisées généralement par le client :
- Qu’est-ce que vous éprouvez présentement?
- Pourquoi pensez-vous éprouver ce sentiment?
- Qu’est-ce que ce sentiment vous dit à propos de ce qui est vraiment important pour vous dans la vie?
- Qu’est-ce que voulez faire maintenant, par rapport à cette situation?
- Considérant la connaissance que vous avez de vous-même comme personne, quelle est la meilleure chose que vous pourriez faire maintenant?
- Comment pouvez-vous utiliser à bon escient vos expériences du passé pour accomplir ce que vous souhaitez?
- Quel serait le meilleur usage de votre temps aujourd’hui?
En réfléchissant à ces questions de manière régulière – en dehors des séances de coaching - le client peut réaliser une meilleure intégration de son passé, son présent et son futur comme un tout congruent et ayant du sens.
- NIST Pair of Aluminum Atomic Clocks Reveal Einstein's Relativity at a Personal Scale. http://www.nist.gov/public_affairs/releases/aluminum-atomic-clock_092310.cfm
- Boniwell, H., Osin, E., Sircova, A. (2014). Introducing time perspective coaching: A new approach to improve time management and enhance well-being. International Journal of Evidence-Based Coaching and Mentoring. 12, (2), 24-40.
- Zimbardo, P. Boyd, J. (2008). The Time Paradox. The New Psychology of Time That Will Change Your Life. New York: Free Press.