Exploration des frontières entre le coaching et la psychothérapiepar Yvon Chouinard
Une meilleure définition des pratiques d’accompagnement
Depuis l’entrée en vigueur de l’article 187.1 du Code des professions le 21 juin 2012, la Loi (aussi appelé Projet de loi 21) qui modifiait le Code des professions, réserve le titre de psychothérapeute et l’exercice de la psychothérapie aux seuls professionnels autorisés : psychologues, médecins et détenteurs d’un permis de psychothérapeute1.
La loi permet également aux membres de certains autres ordres professionnels d’obtenir un permis de psychothérapeute s’ils rencontrent les conditions édictées dans un règlement de l’Office des professions du Québec :
- Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec
- Ordre des ergothérapeutes du Québec
- Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec
- Ordre des psychoéducateurs et des psychoéducatrices du Québec
- Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec
- Ordre professionnel des sexologues du Québec
Le règlement sur le permis de thérapeute prévoit expressément que le coaching, défini comme « visant l’actualisation du potentiel par le développement de talents, ressources ou habiletés de personnes qui ne sont ni en détresse, ni en souffrance », n’est pas de la psychothérapie2.
Alors qu’est-ce que la psychothérapie? Au Québec, elle est légalement définie de la manière suivante :
La psychothérapie est un traitement psychologique pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique qui a pour but de favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé. Ce traitement va au-delà d'une aide visant à faire face aux difficultés courantes ou d'un rapport de conseils ou de soutien.
À la lumière de cette définition légale de la psychothérapie, on peut se demander si une personne qui suit des traitements psychothérapeutiques pourrait simultanément recevoir des services de coaching, pour atteindre des objectifs qui ont un rapport avec des défis courants de la vie quotidienne, comme on en retrouve souvent dans les mandats de coaching.
À la frontière du coaching et de la psychothérapie : une recherche éclairante
Il est probable qu’à un moment ou un autre de sa pratique, un coach fera face au défi de la zone grise où la ligne entre le coaching et la thérapie n’est pas tout à fait définie. Une façon claire de les différencier est d’examiner le but de la pratique. Alors que la psychothérapie a pour but d’aborder et de gérer des dysfonctions psychologiques, l’objet du coaching est d’améliorer la performance et de favoriser la croissance et le développement. Mais qu’arrive-t-il si un client a besoin des deux modes d’accompagnement? La question se pose car comme de 10 à 15% de la population souffre d’une forme ou d’une autre de trouble de la personnalité, il existe une possibilité réelle qu’un coach ait à interagir avec un client qui est affecté d’un problème de santé mentale dont la présence peut être évidente, mais parfois beaucoup moins.
Dans un article récent paru dans International Journal of Evidence Based Coaching and Mentoring,3 Francine Campone présente un cas révélateur à propos d’un client qui avait obtenu un diagnostic clinique de trouble dissociatif de l’identité, aussi appelé trouble de la personnalité multiple, cas où l’intersection du coaching et du suivi psychologique est vraiment testé. Le trouble dissociatif de l’identité est très complexe et peut être le résultat d’abus physiques ou sexuels durant l’enfance. Habituellement, les identités multiples sont des moyens d’adaptation utilisés par l’individu pour faire face à des situations difficiles.
Les frontières entre le coaching et la psychothérapie ont déjà été examinées en théorie et par l’intermédiaire d’études de perceptions auprès de coachs, mais la nature confidentielle de la relation de coaching avait jusqu’à ce jour été un obstacle afin de pouvoir examiner comment ces frontières se vivaient durant des séances de coaching réelles.
En 2009, un coach de vie a communiqué avec l’auteure à la demande expresse de sa cliente et de son mari qui voulaient qu’elle les aide à documenter et analyser le processus de coaching afin de mieux explorer trois séries de questions :
- Quelles sont les frontières entre le coaching et la thérapie en pratique? Dans quelle mesure les frontières proposées dans la littérature de coaching sont-elles alignées avec la pratique?
- Est-ce que le coaching de vie peut aider un client qui a un trouble psychologique important proprement identifié?
- Quels sont les aspects spécifiques du processus de coaching que le client a trouvé les plus utiles?
Le processus de collecte d’information fut conçu pour respecter la zone d’intimité de la cliente et minimiser la présence de la chercheure dans le processus du coaching. Elle a donc proposé de tenir un journal semi-structuré que la cliente et le coach devaient compléter après chaque séance en rapport avec les comportements dont ils se souvenaient, ainsi que de toute pensée ou émotion qu’ils avaient encore en mémoire à cet égard. Pour des raisons de confiance et de confidentialité, l’enregistrement et la transcription des sessions ne fut pas considérée comme une option acceptable.
La cliente avait été en thérapie durant presque 10 ans lorsqu’une connaissance lui a recommandé de rencontrer un coach de vie.
L’entente entre la cliente et le coach
L’entente que la cliente et le coach ont développé ensemble statuait qu’ils allaient travailler sur un ensemble d’habiletés afin d’améliorer sa qualité de vie en général, dont la gestion du stress, ainsi que ses habiletés sociales.
Le coach a expliqué à sa cliente les distinctions entre le coaching et la thérapie, et il exprima clairement qu’il ne voulait pas interférer avec le travail qu’elle faisait avec son psychothérapeute. Il a défini son rôle comme un partenaire de réflexion et un supporteur pour acquérir les habiletés de vie qui avaient été identifiées. Plus tard, les buts initiaux ont été élargis pour inclure son projet d’écrire un livre et d’aller parler de son expérience à des étudiants de niveau collégial. D’autre part, ils se sont entendus à l’effet qu’elle parlerait elle-même de son expérience de coaching avec son thérapeute.
Le coach comptait près de 20 ans d’expérience comme thérapeute, mais surtout comme coach de vie. Son approche de coaching est fortement influencée par le courant humaniste rogérien ainsi que l’orientation cognitive d’Albert Ellis.
La relation de coaching
Le coach et sa cliente ont travaillé ensemble pendant trois ans. Ils se rencontraient hebdomadairement durant 2 heures, alors qu’elle voyait son thérapeute deux fois par semaine. La chercheure a documenté le cas durant six mois, en plus de réaliser des entrevues avec les deux partenaires durant l’année suivante alors qu’elle préparait son article.
Les sujets discutés étaient ceux que l’on trouve souvent dans toute relation de coaching de vie, comme le travail, les situations stressantes de la vie, un nouveau chien à la maison, la gestion du temps et bien d’autres comme les arts, la musique, la spiritualité, et les conventions sociales, entre autres. Le coach utilisait parfois des simulations afin de pratiquer de nouveaux comportements.
Le coach et sa cliente discutaient périodiquement de l’impact de leur travail en coaching. Les deux avaient l’impression que le coaching de vie aidait la cliente à améliorer des aspects de sa vie qui n’étaient pas abordés avec son psychothérapeute.
La gestion des frontières entre le coaching et la thérapie
Selon l’auteure, ce cas permet d’identifier cinq éléments qui ont permis de gérer les frontières entre le coaching et la thérapie :
- La mise en place de la relation, des rôles et des frontières
- L’établissement de buts précis
- Le maintien d’un lien de confiance dans un contexte sécuritaire
- L’encouragement d’un partenariat centré sur le client
- Des processus de coaching (empathie, métaphores, écoute profonde, silence, etc.)
Les connaissances et l’expérience du coach comme thérapeute l’ont aidé de manière significative à maintenir son calme et son écoute, même dans les situations où la cliente exprimait des émotions très fortes, et particulièrement dans les cas où certaines de ses multiples personnalités s’exprimaient. La cliente avait aussi l’impression que les connaissances cliniques de son coach permettaient à ce dernier de comprendre et d’accepter sa réalité. Elle a d’ailleurs rapporté qu’elle était très attentive au langage non-verbal du coach, particulièrement les expressions qu’elle pouvait lire dans ses yeux.
Conclusion
Cet article est un court résumé du cas présenté par Campone. Il est toutefois important de souligner que comme dans bien des situations où la ligne de démarcation n’est pas clairement visible, il peut y avoir un degré significatif d’ambiguïté et de fluidité en définissant et en naviguant la frontière entre le coaching et la thérapie.
Ainsi, ce cas démontre que les caractéristiques du coach et du client et les buts de l’entente entre les deux partenaires, sont des déterminants clés dans la relation. Par exemple, les connaissances et l’expérience clinique du coach dans ce cas précis sont importantes. Il a ainsi pu comprendre les aspects spécifiques du trouble psychologique de sa cliente et travailler dans le cadre des paramètres indiqués pour une telle condition.
Ajoutons, que la cliente était aussi une personne pleinement fonctionnelle, ayant occupé un emploi de travailleuse sociale depuis plus de 30 ans et engagée dans une union maritale de 34 ans, ce qui n’est pas toujours le cas dans des situations de troubles psychologiques.
L’élément différentiateur le plus important entre une relation de coaching et une relation thérapeutique semble être l’orientation vers le passé en thérapie et l’orientation vers l’avenir en coaching. À cet égard, les buts poursuivis dans la relation de coaching de ce cas étaient consistants avec ce que l’on retrouve dans les mandats habituels de coaching de vie : spécifiques, mesurables, orientés vers des résultats et visant le futur.
Même si cet article ne présente que l’histoire unique de cette relation - et sans doute un cas rare - il est fortement possible qu’un coach soit appelé à travailler avec un individu qui a des dysfonctionnements d’ordre psychologique. Si un tel dysfonctionnement ou trouble a été proprement diagnostiqué par un professionnel qualifié en santé mentale, cela ne devrait pas toujours être un motif pour priver une personne des bénéfices du coaching.
Le cas présenté par Campone est un exemple précieux où il est possible d’aider un client à avoir une vie plus riche et épanouie, en dépit de son diagnostic, en étant toutefois particulièrement prudent dans l’approche et en respectant en tout temps les différences déterminantes entre le coaching et la psychothérapie.
Compte tenu du caractère particulier du cas qu’elle a documenté, la chercheure prend d’ailleurs bien soin de préciser que ce n’est pas son intention de suggérer que tous les coachs sont également taillés pour coacher ce genre de clients.
- Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2009C28F.PDF
- Règlement sur le permis de psychothérapeuteCode des professions. (chapitre C-26, a. 187.1, 187.3.1 et 187.3.2) http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=%2F%2FC_26%2FC26R222_1.htm