14 juin 2013

Chronique recherche en coachingpar Yvon Chouinard

Le phénomène de la conscience et les neurosciences en coaching

David Rock et Jerry Schwartz, M.D., sont connus comme les premiers auteurs à associer les neurosciences au leadership avec leur article The neuroscience of leadership paru en 2006 dans la revue Strategy + Business. 1 Le lien des neurosciences avec le coaching est venu en 2009, lorsque David Rock, avec cette fois Linda J. Page, Ph.D., ont publié leur livre Coaching with the brain in mind : foundations for practice.2

Les neurosciences et le coaching

Depuis ce temps, une pléthore d’ouvrages, d’articles, de conférences et d’ateliers de formation sur le sujet des neurosciences et du coaching a inondé le marché. Il est notable de constater que beaucoup des intervenants dans ce domaine n’ont pas de formation scientifique en neurosciences.  En fait, David Rock n’est pas lui-même un scientifique, mais il a travaillé de très près avec Jeffrey Schwartz, un expert mondial sur les troubles obsessifs-compulsifs.

Schwartz a développé une méthode de traitement de ses patients sans utiliser de médicaments ou d’approches béhavioristes. Avec l’aide des technologies d’imagerie du cerveau, il a pu montrer que ses techniques changeaient littéralement le cerveau de ses patients. Le livre de Schwartz The Mind and the Brain 3 est ensuite devenu la pierre angulaire de la pensée et de l’enseignement de Rock en coaching.

David Rock a été tenté de rapprocher les neurosciences et le coaching, car selon lui, tous les événements qui se produisent en coaching sont liés à ce qui se passe dans la tête de quelqu’un. Certaines personnes peuvent bien dire que le coaching est plutôt une affaire du « cœur », mais peu importe la perspective à cet égard, nous savons maintenant que les émotions sont directement branchées au cerveau qui travaille en partenariat avec le corps. Rock affirme donc que tout bon modèle de coaching devrait être basé sur la science du cerveau, ce qui comprend une connaissance éclairée des phénomènes de conscience et d’inconscience.

Les neurosciences pour inspirer les coachs dans leur pratique

Rappelons que dans leur article de 2006 cité plus haut, Rock et Schwartz mentionnaient six thèmes qui peuvent inspirer les coachs :

  1. Changer est douloureux
  2. Agir sur les motivateurs ne fonctionne pas
  3. L’approche centrée sur la personne est surévaluée
  4. L’attention développe la performance
  5. Nous forgeons la réalité à partir de nos projections
  6. La densité de l’attention forme l’identité


Changer est douloureux
car le changement provoque un sentiment d’inconfort mettant en œuvre d’une part, la nature même de la mémoire humaine qui génère constamment des routines comportementales et d’autre part, la grande capacité du cerveau à générer des signaux « d’erreurs »  lorsqu’il perçoit une différence entre ce qui est attendu et ce qui est perçu, et qui peut alors bloquer le changement.

Deuxièmement, les efforts de changement uniquement basés sur « la carotte et le bâton », les motivateurs,  aboutissent rarement à des résultats durables.

Troisièmement, l’approche centrée sur la personne – selon les propositions de Carl Rogers 4-  est surévaluée,  car à moins d’habiletés de questionnement exceptionnelles, le cerveau détecte la différence entre une question authentique et une tentative de persuasion ou d’orientation de l’intervention.

Quatrièmement, les neurosciences nous apprennent  qu’une attention soutenue induit des changements chimiques et structurels dans le cerveau et peut stimuler la performance en maintenant ouverts et actifs des circuits neuronaux associés à l’objet de l’attention.

Cinquièmement, tous les coachs dûment formés savent que notre carte individuelle du monde, c’est à dire nos théories, nos attentes et perspectives, ont un impact significatif sur notre perception de la réalité. Le processus de coaching suggère qu’une des voies pour initier un changement est de favoriser des moments « d’insight ». À cet égard, les neurosciences nous apprennent que l’insight développe un jeu complexe de nouvelles connections dans le cerveau et favorise la création de nouvelles cartes mentales.

Finalement, découlant du point précédent, l’attention constante et soutenue d’expériences mentales régulières participerait à la formation de l’identité, en stabilisant les nouvelles connections et en les développant, d’où l’expression maintenant répandue de « neuroplasticité », soit la capacité du cerveau à se remodeler.

Toutefois, cela ne règle pas le sujet de la conscience dont on fait tant état dans les modèles de coaching. En effet, dans quelle mesure une personne en coaching peut-elle devenir consciente si le cerveau est une mécanique bien rodée qui semble nous échapper?

La conscience et l’inconscient

Dans un récent numéro du magazine Inter 5 de l’UQÀM, Marie-Claude Bourdon, rapportait que l'an dernier, l'École d'été de l'Institut des sciences cognitives de l'UQÀM réunissait une soixantaine de conférenciers – philosophes, psychologues, biologistes, anthropologues, informaticiens – venus de plusieurs universités dans le monde pour discuter du thème de la conscience, de son évolution et de sa fonction.

L’auteure écrit que « les recherches en neurosciences montrent que les choses que nous ressentons consciemment ne constituent que la pointe d'un iceberg composé d'innombrables processus inconscients.

«Quatre-vingt-quinze pour cent de nos processus cognitifs ne sont pas conscients, affirme le professeur Pierre Poirier, du Département de philosophie de l’UQÀM. Par exemple, quand je vous parle, je suis conscient de ce que je dis, mais pas du travail accompli par mon cerveau pour mettre ensemble les sons qui formeront les mots et les phrases que j'utilise.»

Marie-Claude Bourdon écrit que « de plus en plus, les études sur la conscience portent, en fait, sur des processus inconscients.

«Les choses inconscientes dont on parle ne sont pas chassées de la conscience parce qu'elles sont intolérables, dit le professeur Luc Faucher, également du Département de philosophie de l’UQÀM,  mais parce que nous ne pouvons tout simplement pas avoir une conscience attentive de tous nos processus cognitifs. »

En fait, même nos comportements n'auraient pas nécessairement pour cause des états mentaux consciemment accessibles. «Souvent, nous sommes inconscients des déterminants de nos comportements», observe Luc Faucher.»

Bourdon a aussi rencontré Luc-Alain Giraldeau, professeur au Département des sciences biologiques et vice-doyen à la recherche de la Faculté des sciences, qui abonde dans le même sens. «Souvent, nous pensons prendre des décisions de façon consciente, alors que notre conscience n'est qu'informée d'une décision qui a été prise tout à fait inconsciemment! Dans bien des cas, si je vous demandais pourquoi vous faites telle chose, vous devriez faire un examen de conscience pour me répondre.»

C’est évidemment cette sorte « d’examen de conscience » qui sert de toile de fond au processus classique du coaching et les neurosciences viennent soutenir son à-propos.

Mais s’il y a une chose sur laquelle la majorité des scientifiques s'entendent, aujourd'hui, c'est l'absence d'un principe ou d'une force externe  pour expliquer le phénomène de la conscience.  Les théories voulant que la conscience soit d'une autre essence que le corps matériel,  ont été abandonnées, et à cet égard, bien des coachs font fausse route en proposant des concepts ésotériques de cette nature.

Conclusion et discussion

Dans son livre  L’erreur de Descartes 6, Antonio Damasio a d’ailleurs démonté la mécanique du cerveau en faisant de l’être humain un véritable être biologique dont les états de conscience et d’inconscience ainsi que les émotions et les dimensions identitaires sont essentiellement des composantes électrochimiques du cerveau. Pour Damasio, il faut cesser de voir le corps comme un instrument du cerveau. Le corps et le cerveau sont partenaires. Mais cette réalité biologique n’explique pas le ressenti émotionnel ou comment le sentiment devient connu de l’organisme qui ressent.

C’est pourquoi Damasio s’est ensuite attaché à combler cette lacune7 en essayant de comprendre comment les individus s’avancent dans la pleine lumière de la conscience, en examinant les circonstances biologiques et émotionnelles qui permettent la transition cruciale de l’état d’insu à l’état de connaissance, et ceci en prenant pour toile de fond le sentiment même de soi, partie indispensable de l’esprit conscient.

Si toutes ces découvertes sur l’activité neuronale nous informent de mieux en mieux sur le fonctionnement de l’être humain, il est probable, comme Damasio le rapporte, que le problème du « ressenti » soit l’objet d’une quête incessante pour la science, avec peu de chance de pouvoir l’expliquer.  Le « senti » et le « ressenti », sont les clés que chacun possède pour  se représenter le monde, et nous aimerions suggérer que le travail du coach devrait servir à illuminer ces dimensions abstraites de l’être humain. 

 

Références

  1. David Rock and Jerry Schwartz. (2006). The neuroscience of leadership. Strategy + Business, No. 43
  2. David Rock et Linda J. Page. (2009) Coaching with the brain in mind: foundations for practice.  Hoboken, N.J. : John Wiley & Sons.
  3. Jerry Schwartz & Sharon Begley (2001). The Mind and the Brain: Neuroplasticity and the Power of Mental Force. New York : ReganBooks.
  4. Carl Rogers (1961) (2005). Le développement de la personne (On becoming a person). Paris : Dunod
  5. Marie-Claude Bourdon (2013) Le mystère de la conscience. Magazine Inter, Volume 11, No 1
  6. Antonio Damasio (1995) L’erreur de Descartes : la raison des émotions. Paris : Éditions Odile Jacob.
  7. Antonio Damasio (1999) Le sentiment même de soi : corps, émotions, conscience. Paris : Odile Jacob
Yvon Chouinard ACC, CRHA