Chronique recherche en coachingpar Yvon Chouinard
L'importance de l'improvisation en coachingComprendre comment et pourquoi les coachs utilisent l’improvisation
Il y a tant de modèles et d’approches de coaching qui ont fait l’objet d’écrits et de formation qu’on peut légitimement se demander quelle place est réellement laissée à la créativité des coachs, alors que le coaching est décrit par l’ICF comme un processus créatif qui devrait inspirer les clients à maximiser leur potentiel personnel et professionnel. Or, qui dit créativité sous-entend généralement improvisation. Le peintre improvise. Le compositeur improvise. Le coach peut aussi improviser.
L’improvisation est un acte de créativité et d’innovation spontanée qui peut a priori nous sembler essentiel dans une conversation de coaching, mais qui risque d’être contraint par l’application trop rigide de modèles par les coachs.
La littérature à propos de l’improvisation en coaching est relativement absente, même si l’improvisation est importante dans toute relation où il y a un échange dynamique de pensées, d’idées et de solutions.
Souvent, nous comparons une séance de coaching à une danse où le coach suit le client la plupart du temps. C’est sans doute un élément important de la pratique du coaching. Mais le coaching essaie aussi de s’appuyer sur la science, ce qui implique l’utilisation d’une méthode, d’une théorie qu’on peut vérifier dans la pratique, ce qui peut amener une certaine rigidité de l’approche. D’autre part, on envisage aussi le coaching comme devenant un art lorsqu’il est maîtrisé avec la signature particulière du coach, ce qui suppose un certain esthétisme et une forme reconnaissable de beauté. On dit d’ailleurs de quelqu’un « qu’il est passé maître dans son art. »
C’est ainsi qu’on peut s’extasier devant un solo improvisé d’un musicien de jazz qui s’échappe du conformisme de la partition pour laisser sa créativité s’épanouir. En coaching, la question se pose à savoir si les coachs suivent à la note une partition qui leur vient de leur formation ou de leurs croyances ou s’ils ont plutôt la créativité d’un musicien de jazz.
Dans cet article, nous allons résumer l’objet et les résultats de deux projets de recherche qui ont été menés sur l’importance de l’improvisation en coaching, par Michael J. B. Read de la Peter B. Gustavson School of Business de l’Université de Victoria en Colombie-Britannique, et publiés dans Coaching : An International Journal of Theory, Research and Practice.1
Les questions de recherche
Les études voulaient explorer trois questions :
- Dans quelle mesure les coachs improvisent-ils durant leurs interactions en coaching?
- Quelle importance l’improvisation a-t-elle dans le processus de coaching?
- Si l’improvisation est importante, dans quelles situations de coaching ou activités, les coachs utilisent-ils le plus l’improvisation ?
La méthodologie et l’échantillon
La recherche fut effectuée en utilisant des sondages en ligne auprès de 113 coachs organisationnels (internes) qui étaient encouragés à donner des exemples précis de leur utilisation de l’improvisation en coaching ainsi que leur fréquence.
L’échantillon initial de la première étude comptait 278 coachs majoritairement de l’Angleterre, du Canada et des États-Unis, alors que l’échantillon de la deuxième étude s’élevait à 493 coachs organisationnels provenant de ces mêmes pays. La seconde étude fut réalisée six (6) mois après la première. L’objectif de cette deuxième étude était de comprendre dans quelles circonstances les coachs utilisaient l’improvisation. À cet effet, les participants devaient spécifier la fréquence d’utilisation de l’improvisation dans 12 activités spécifiques de coaching qui avaient été rapportées par le premier groupe.
Résultats et discussion
Dans le premier groupe, 64,7% des coachs ont rapporté qu’ils utilisaient souvent ou toujours l’improvisation durant leurs séances de coaching. Cette découverte suggère que dans cet échantillon de coachs, seule une minorité (6%) pratique selon un programme prédéterminé de coaching et n’utilise pas beaucoup l’improvisation. Les autres disent l’utiliser parfois dans une proportion de 29,4%. De plus, lorsqu’on leur demande l’importance de l’improvisation dans le processus de coaching, 41,2% affirment qu’elle est essentielle et 32,4% comme étant très importante. Dans leurs commentaires, certains coachs sont allés jusqu’à dire que « le coaching professionnel est improvisation ».
Les résultats du second groupe ont recoupé ceux du premier en ce qui concerne l’importance de l’improvisation dans le processus de coaching, alors que 73,4% ont rapporté que l’improvisation était soit essentielle ou très importante.
C’est dans l’activité des conversations (54,4%) que les répondants ont rapporté utiliser le plus souvent l’improvisation, soit 86%. Quatre autres activités de coaching ont obtenu la mention « souvent » à propos de l’utilisation de l’improvisation, soit les sessions ou pratiques (49,4%), la rétroaction (41,8%), la consolidation d’équipe (43,6%) et les simulations (49,4%)
Conclusions
Selon l’auteur de la recherche, l’improvisation pourrait être une pièce manquante pour mieux comprendre les interactions en coaching. Si l’improvisation est parfois découragée afin de mieux encadrer le processus de coaching, un coach adéquatement formé dans le but de faire face à l’imprévisible obtiendra un éventail beaucoup plus large de réponses de la part de ses clients. Pour les coachs internes (organisationnels) qui œuvrent dans des organisations où l’on souhaite favoriser un climat de prise de risque et où les nouvelles idées et solutions sont les bienvenues, les coachs peuvent en favoriser l’émergence en utilisant l’improvisation dans leurs interactions avec les personnes qu’ils coachent.
Pour les coachs externes qui veulent innover dans leur pratique, l’improvisation peut être un moyen efficace, non seulement dans leurs conversations de coaching régulières mais aussi dans des situations particulièrement difficiles que peut vivre un client, situations où le coach doit faire appel à des ressources qui ne font pas partie de son coffre à outils habituel. C’est souvent une décision spontanée ou une idée innovatrice qui peut faire toute la différence dans une séance de coaching.
Voilà une recherche intéressante qui peut certainement nous faire réfléchir à la place que nous laissons à l’improvisation dans nos relations de coaching. En effet, est-ce que nous n’hésitons pas parfois à sortir de nos ornières en raison de notre peur de l’imprévisible?
1. Michael J. B. Read (2013). The importance of improvisation in coaching. Coaching : An International Journal of Theory, Research and Practice, 6 :1, 47-56.