L’essor du coaching et la nécessité d’un encadrement du métierpar Anik Crépeau M.Sc. PCC, Blandine Benoist M.Sc. PCC
L’ESSOR DU COACHING ET LA NÉCESSITÉ D’UN ENCADREMENT ÉTHIQUE DU MÉTIER
Le marché du coaching ne cesse de croître…
En 2025, il atteint 5,34 milliards de dollars US à l’échelle mondiale et compte 122,974 coachs accrédités ou certifiés, une augmentation de plus de 75% depuis 2019.[1]
Progressivement, le coaching professionnel s’installe dans les organisations, non plus comme une intervention ponctuelle, mais comme une fonction pérenne, intégrée aux dynamiques de développement professionnelle et de transformation des organisations.
Ce phénomène s’explique par la complexité croissante des environnements organisationnels, la nécessité d’une gestion renouvelée, et la reconnaissance du potentiel humain comme levier stratégique de performance. La notion même de performance évolue. Elle réfère aux besoins croissants de souplesse et d’agilité au sein des équipes.
L’instabilité économique, les bouleversements technologiques et les transformations sociales commandent une capacité d’adaptation constante. À ce sujet, l’auteur Xavier Durand résume bien cette réalité dans son livre « Oser le risque » où sa vision du leadership s’apparente à une improvisation collective plutôt qu’à une orchestration rigide :
« Au management normatif et administratif où l’on essaye de tout prédire, écrire et orchestrer selon une approche centralisée, il faut opposer un modèle où l’on donne la parole aux uns et aux autres en temps réel, où chacun bénéficie d’une marge d’interprétation et de jeu collectif, et où l’interaction s’effectue sans partition pré-écrite qui rassure tout le monde.
Durand compare alors le dirigeant à un leader de jazz qui permet à ses collaborateurs d’être des compositeurs spontanés, en posture de décideurs et de suiveurs à la fois. Il s’agit d’un virage culturel important pour les organisations.
La pérennisation du coaching
Réussir ce passage est possible lorsque les organisations osent se placer en posture apprenante. Nous mettons l’accent sur le OSER car, bien qu’il s’agisse d’une nécessité, créer un environnement propice à l’apprentissage demande de l’ouverture, du courage et de la persévérance.
C’est alors qu’entre en scène le coaching professionnel reconnu de plus en plus comme un métier dont l’apport transformationnel soutient le développement organisationnel et le maintien de cette posture apprenante.
Des organisations de moyenne et de grande taille mettent en place des équipes de coachs internes qui répondent à des besoins aussi variés et continus que l’intégration d’une posture de leader ou l’autonomisation des équipes. La complexité croissante des dynamiques relationnelles au sein des équipes, conjuguée à la diversité des besoins et au renouvellement constant d’une main-d’œuvre en mouvement — tant chez les gestionnaires que chez les membres de leurs équipes — appelle un renouveau récurrent du savoir-être et du savoir-faire collectif. Dans ce contexte, « apprendre à apprendre ensemble » devient une compétence essentielle, une posture à cultiver pour naviguer avec agilité dans des environnements en perpétuelle transformation.
L’apport du coaching interne nous semble essentiel. Sa présence permet de suivre l’évolution du système, des personnes et des équipes, de comprendre les dynamiques pour répondre aux enjeux de crise et d’ancrer plus aisément des gains durables.
Le coaching révèle toute sa puissance lorsqu’il s’agit d’incarner, au quotidien, des apprentissages tirés de diverses formations ou des changements organisationnels qui nécessitent de nouvelles postures individuelles ou de nouvelles dynamiques collectives
Doit-on pour autant miser uniquement sur le coaching interne lorsqu’il est accessible ?
Bien sûr que non. Il s’agit plutôt de concevoir la complémentarité du coaching interne et externe comme un atout, c’est-à-dire comme une réponse à l’égard de la présence et de la variabilité des enjeux éthiques. C’est apprendre à faire équipe, tout comme un coach externe ne devrait répondre à l’ensemble des besoins exposés par l’organisation cliente.
D’abord, le « fit » entre le coach et son client est fondamental. Chaque client devrait pouvoir choisir la personne qui lui convient, dans le respect de ses besoins, de sa sécurité psychologique et de la dynamique organisationnelle.
La distance hiérarchique entre le coach et son client, ou entre les clients d’un même coach, est un facteur à considérer pour garantir un espace d’interaction sécuritaire, tant pour le coach que pour le client. Le besoin de sécurité est tout autant nécessaire pour l’organisation que pour le coach, qu’il soit issu de l’interne ou de l’externe.
La sécurité repose sur un cadre clair, sur le développement des compétences du coach, et sur sa capacité à reconnaître ses limites. Le code de déontologie de l’ICF 2025 souligne que le coach doit être attentif aux signes d’inconfort ou de doute, et chercher du soutien lorsque nécessaire. Il est sain et requis pour un coach de douter, de ne pas voir clair, et de solliciter un regard externe pour soutenir sa réflexion éthique.
Coaching et éthique
Les enjeux éthiques liés au coaching ne datent pas d’hier. En mai 2019, ICF Québec publiait un article soulignant les défis spécifiques au coaching interne, notamment le risque de confusion lorsque le coach est amené à tenir plusieurs rôles auprès de ses clients ou lorsque des jeux de pouvoir viennent interférer dans la dynamique relationnelle coach-client[2].
Ces enjeux ne sont pas exclusifs au coaching interne. En coaching externe également, il arrive qu’un coach soit sollicité pour intervenir auprès de plusieurs clients internes ou pour assumer des rôles multiples dans un même mandat. Dans les deux cas, des ambitions de carrière ou des intérêts personnels peuvent engendrer des biais, consciemment ou non, et influencer la posture du coach.
Face à cette complexité, le nouveau code de déontologie de l’ICF propose un cadre structurant où l’engagement éthique de l’écosystème ICF est plus apparent. Il définit les principes éthiques, les valeurs fondamentales et les normes de conduite qui qualifient la pratique du coaching et l’engagement du coach, un engagement qui dépasse largement la seule relation coach-client : il s’étend à l’ensemble des parties prenantes, incluant les sponsors, les collègues et l’organisation elle-même.
Le code invite chaque coach à tenir des conversations ouvertes pour identifier et gérer les conflits d’intérêts réels ou potentiels. Un premier indice de la présence d’un dilemme éthique est souvent le ressenti d’un malaise, voire d’un doute.
Faire preuve de courage et nommer ce qui est vécu avec l’ensemble des parties concernées constitue une première étape. La seconde consiste à établir une entente de coaching claire et conforme au code de déontologie.
Ces conversations ne peuvent se tenir sans cadre. Et ce cadre se renforce par la supervision professionnelle, les ateliers réflexifs proposés par ICF, et l’ouverture du regard que permettent ces accompagnements. Oser la conversation avec le client et le sponsor devient un acte éthique en soi.
Dans ce contexte, nous croyons que miser sur une complémentarité entre coachs internes et externes offre une souplesse précieuse pour répondre aux besoins de sécurité du client, de l’organisation et du coach. Dans certains cas, cette complémentarité devient une nécessité éthique, imposant une réflexion partagée entre les parties prenantes.
Professionnalisation et élan éthique du métier de coach
L’évolution du code de déontologie de l’ICF marque une étape importante dans la reconnaissance du coaching comme une pratique professionnelle structurée. Ce guide éthique, destiné à l’ensemble de l’écosystème du coaching, réitère l’importance de la formation continue, de la supervision, et du cadre réflexif pour soutenir les coachs dans leur posture.
Incarner la posture de coach demande du temps, un vécu expérientiel et une vigilance constante. L’expression « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage » illustre bien cette réalité : le coach progresse lui aussi un pas à la fois, dans une démarche de développement professionnel soutenue, comme tout métier d’accompagnement.
En offrant une présence accrue au coaching en organisation, qu’il soit interne ou externe, nous contribuons à faire émerger une fonction pérenne et stratégique, au service du développement humain et organisationnel. Le resserrement du cadre éthique, loin d’être une contrainte, devient un élan structurant pour le métier, permettant de naviguer avec intégrité dans des environnements complexes.
Le coaching, dans sa diversité de formes, est un levier puissant pour soutenir la performance des organisations. Il mérite d’être reconnu, structuré et soutenu comme une fonction stratégique au service du développement humain et organisationnel.
[1] ICF The 2025 ICF Global Coaching Study.
[2] ICF Québec, Comité éthique et déontologie (Lyne Leblanc, Mireille Nadeau, Nathalie Dubé) Le coach interne et ses défis éthiques, 23 mai 2019.
