18 septembre 2025

La perfection, un « handicap » en gestionpar Gilles Tétu, PCC

Dans bien des contextes, la perfection est perçue comme un idéal, et pourtant, elle peut devenir un leurre et un obstacle.

Aussi, cette perfection a une valeur variable selon qu’on l’évalue du point de vue professionnel ou sous l’angle de la gestion. Alors que les professionnels sont évalués principalement sur le processus, les gestionnaires, eux, sont plutôt évalués selon leurs résultats. Incidemment, je remarque que pour les gestionnaires qui ont une formation de base professionnelle, la recherche de perfection paraît prépondérante. Voici comment cela pourrait s’expliquer.

Processus chez les professionnels :

Dans les professions réglementées, on apprend à respecter des procédures précises qui garantissent la qualité du service. Par exemple, un professionnel de la santé qui respecte les protocoles de sa profession ne sera pas blâmé si un patient décède : il aura agi selon les règles de l’art et aura fait exactement ce qui est attendu de lui.

Dans ce cadre, la perfection se mesure à travers la conformité aux processus établis, à leur exactitude, à leur rigueur. C’est la pierre angulaire de l’évaluation professionnelle.

Résultats et relations chez les gestionnaires :

Pour le gestionnaire, c’est autre chose. Il est jugé autant sur les résultats livrés que sur la qualité du climat de travail ou des relations. Atteindre les objectifs sans tenir compte des relations humaines n’est pas un gage de succès. Inversement, maintenir un bon climat sans livrer de résultats n’est pas plus satisfaisant.

Ici, l’évaluation de la réussite repose sur des critères bien différents de ceux des professionnels :  elle ne vise pas le 100 %, mais un équilibre satisfaisant, souvent situé entre 70 à 80 %. En effet, personne ne s’attend à ce que toutes les relations du service du gestionnaire soient bonnes à 100 %, il est normal que certaines personnes ne soient pas d’accord avec ce que l’on fait. De même, les résultats à 100 % sont aussi difficiles à atteindre, car les derniers 20% à franchir demanderont 80 % de l’énergie à fournir. D’ailleurs, un adage souligne qu’il est préférable d’avoir de l’imparfait en mouvement que du parfait immobile.

Et si la perfection freinait la progression :

Sur le plan de la gestion, le perfectionnisme devient vite un frein qui empêche de sortir de notre zone de confort et nous maintient dans le statu quo. Il empêche de prendre des risques et d’apprendre de ses erreurs. Or, progresser, c’est justement oser se tromper, s’ajuster, apprendre et recommencer.

Un gestionnaire qui obtient 75 % des résultats souhaités, tout en innovant et en faisant progresser son équipe, accomplit quelque chose de significatif. Les erreurs deviennent alors des leviers d’apprentissage, à condition de les analyser :

  • Comment est-ce arrivé ?
  • Qu’est-ce que je n’aurais pas dû faire?
  • Qu’est-ce que j’aurais pu faire autrement ?
  • Comment et à quoi je vais être attentif la prochaine fois ?

En gestion (2)(3), l’erreur n’est pas un échec : c’est une opportunité de croissance. Les éliminer au nom de la perfection empêche les décideurs et l’organisation d’apprendre et d’évoluer.

Viser la réalisation plutôt que la perfection.

Dans un monde en changement constant, il est plus réaliste – et plus utile – de viser la réalisation que la perfection. Nous n’aurons jamais un gestionnaire parfait, mais voulons quelqu’un de meilleur : c’est-à-dire, que ses forces ne deviennent pas des faiblesses (par exemple, que sa détermination ne tourne pas en entêtement) et que ses faiblesses soient acceptables (il est préférable de les gérer ne pouvant les éliminer). En d’autres mots, à chaque qualité correspond un défaut (détermination vs entêtement) et derrière chaque faiblesse, une qualité. Il vaut donc mieux essayer de modérer nos extrêmes que de nous pousser à l’extrême.

Cette approche nous oriente vers l’optimalisme.

Perfectionnisme VS Optimalisme ?

Hubert Corbeil (1) définit l’optimalisme comme l’étude du fonctionnement humain optimal qui reconnaît et accepte les expériences humaines en cultivant la résilience et la gratitude. Ce concept, du livre de Tal Ben-Shahar, L’apprentissage de l’imperfection, nous présente 4 aspects à respecter pour sortir de la perfection et adopter des attitudes plus optimales.

  1. Repenser notre relation à l’échec. Les perfectionnistes ont tendance à s’éloigner des situations susceptibles d’échec. Pour les optimalistes, les difficultés sont inévitables. Il est préférable de les affronter et d’en tirer des apprentissages formateurs.
  2. Reconnaître et accueillir nos émotions. Les perfectionnistes recherchent une suite de sentiments positifs. Les optimalistes nous proposent que les émotions, peu importe qu’elles soient positives ou négatives, fassent partie de la vie. D’ailleurs, l’auteur souligne que vivre des émotions désagréables est humain et que « les seuls à s’en passer sont les psychopathes… et les morts ».
  3. Apprécier et célébrer les réussites. Corbeil souligne que les perfectionnistes ont tendance à s’évaluer durement, même lorsqu’ils réussissent. L’optimaliste pour sa part définit des critères de réussite ambitieux, mais réalistes, permettant ainsi la valorisation de la réussite.
  4. Accepter la réalité. L’optimaliste accepte la réalité telle qu’elle est, avec sa complexité. Cela présume de restreindre nos préjugés qui pourraient biaiser notre perception en déformant la réalité. Je pense qu’il est préférable de simplement mesurer les choses qui s’améliorent et de ne pas s’attendre à une solution parfaite, car les solutions d’aujourd’hui sont les problèmes de demain.

Dans un monde de pression comme le vivent les gestionnaires, la recherche de la perfection est un mythe qui nuit à la gestion. Nous pouvons tous nous améliorer, mais sans viser cette perfection qui est un faux ami. L’amélioration c’est la maîtrise de nos forces et le contrôle de nos faiblesses.

D’ailleurs, Antoine de Saint-Exupéry disait : « Vous interdisez les erreurs, vous empêchez ainsi la victoire ».

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Gilles Tétu est président de TGCO Inc., coach professionnel certifié PCC(ICF) et auteur en gestion (Journal les affaires, infolettre ACSSS et infolettre Coach Québec.)

Il a été cadre supérieur et directeur général dans le réseau de la santé ainsi qu’enseignant à l’Université Laval, conférencier au Québec et à l’international et consultant.

Ses sujets d’enseignement au deuxième cycle universitaire ont été la négociation interpersonnelle, la communication et le coaching de gestion. Il donne des formations sur « 90 jours pour réussir » aux nouveaux cadres du réseau de la santé. Il fait aussi du coaching individuel et de groupe.

Bibliographie :

  1. Corbeil H. Du perfectionnisme à l’optimalisme : le pouvoir de l’imperfection, Revue gestion, HEC, Avril 2015.
  2. Walsh C. Learning from mistakes, Harvard Graduate School of Education, 2015, www.gse.harvard.edu/ideas/news/15/07/learning-mistakes?utm_source=chatgpt.com
  3. Barlow J. Mark Graban : le pouvoir des erreurs, Revue gestion HEC Montréal, mai 2025
  4. Schoemaker J.H. et Gunther R.E., The wisdom of deliberate mistakes, Harvard Business Review, 2006, The Wisdom of Deliberate Mistakes

(Article intéressant et surprenant qui explique que des compagnies ont accepté de faire une erreur pour en constater le résultat qui se trouva être un succès. Exemple en Beauce : un producteur de fraises met ses fraises en vente dans un kiosque, sans caissier, les gens payant le montant indiqué dans une boîte. De ne pas mettre de caissier peut sembler une erreur et pourtant les pertes sont minimes et le coût-bénéfice est intéressant.)

Gilles Tétu, PCC Coach professionnel certifié PCC