Trouver le vide créateur, une conférence de Denis Marquetpar Yvon Chouinard
L’une des conférences les plus courues lors de la Conférence Européenne ICF qui s’est tenue à Paris en juin 2010, fut celle de Denis Marquet, philosophe, romancier et thérapeute. Formé à l’analyse du type psychologique jungien, Marquet a écrit de nombreux articles pour le magazine Psychologies. Il est aussi l’auteur de Colère, un roman best-seller qui a été traduit en huit langues. Il a ensuite publié Père, La planète des fous et Mortelle éternité. En avril 2010, il a publié son premier essai Éléments de philosophie angélique. Comme philosophe-thérapeute, Denis Marquet s’intéresse aux souffrances qui viennent du manque de sens dans la vie des gens. Le principe de la thérapie philosophique repose sur le questionnement juste qui fait découvrir que la vérité est finalement en nous.
Marquet a d’abord rappelé que nous cherchons habituellement des recettes lorsque nous voulons changer. En fait, nous croyons qu’avec la bonne recette, il suffit de changer sa façon de faire pour obtenir des résultats. Généralement, nous voulons changer notre savoir-faire et notre savoir-être. Toutefois, dit Marquet, le savoir ne porte que sur le passé. Nous sommes d’ailleurs formés à partir du savoir et nous avons tendance à répéter ce que nous avons fait dans le passé. Évidemment, poursuivait-il, le savoir est essentiel pour construire notre identité car le construit social vient de la répétition de ce que nous faisons. Ce qui permet d’ailleurs aux autres de nous reconnaître. « Je suis identifiable car je me répète. Mon identité est un schéma répétitif. Je suis toujours le même. », affirme-t-il.
Sur ce même thème, Marquet avait déjà écrit que « nous portons en nous tous les âges de notre vie, et plus encore : tous les instants de notre vie. Et chaque moment de notre vie est présent comme un potentiel de sensation, de ressenti : le corps est une mémoire vivante dont se nourrit chacun de nos instants présents. »
Marquet nous invita alors à expérimenter le « non-savoir » afin de nous arracher de notre mode de répétition. Sans mentionner le coaching, Marquet dit que « …si je veux être en relation avec quelqu’un qui est dans un schéma répétitif, il faut que je sorte moi-même de mon monde du savoir » afin de me poser la question : « Suis-je en face d’un être unique ? ». Mais l’unicité n’est pas son identité, dit-il. L’unicité peut seulement émerger lorsqu’on laisse tomber le paraître, l’avoir, le savoir et le faire. Nous nous approchons alors du vide, du « vide créateur », selon Marquet. Le Vide créateur est une notion difficile à saisir, car le savoir nous donne l’impression de sécurité. Or, dit Marquet, cette sécurité est une illusion et provient essentiellement de la peur, de la peur du rien, de la peur d’être désemparé.
Bien que je ne l’aie pas entendu de sa bouche, j’ai retrouvé dans la conférence de Marquet des influences évidentes du bouddhisme et de la philosophie Zen, qui en fait partie intégrante. Krishnamurti, dans ses livres Se libérer du connu et La Première et Dernière Liberté, écrit « …si l’esprit est enchaîné par des croyances, par des connaissances, il cesse sa poursuite, il cesse de s’adapter au rapide mouvement de ce qui ‘est’. » Dans la même veine, Krishnamurti nous invite à partir léger pour l’exploration de nous-mêmes : « …on ne peut pas s’encombrer d’opinions, de préjugés, de conclusions : de tout ce vieux mobilier que nous avons collectionné pendant deux mille ans et plus. Nous allons partir comme si nous ne savions rien. » Bodhidharma qui a amené la philosophie Zen de l’Inde à la Chine, à une question du roi de Chine qui lui demandait quel était le sens des enseignements du bouddhisme répondit : « Le vide. Rien. » Cette légère digression nous aide à mieux comprendre la philosophie de Marquet face à la notion de « Vide créateur » où je laisse passer à travers moi des choses qui n’appartiennent pas à la définition de moi-même.
Parce que j’ai su lâcher le savoir sur moi-même, et jusqu’à la notion de mon identité, poursuit Marquet, je laisse s’exprimer la spontanéité créatrice de mon être profond. Alors, je me découvre autre que ce que je croyais être. Je fais connaissance avec moi-même, l’être unique. La connaissance de soi, c’est ne plus rien savoir sur soi, et soudain se laisser surprendre par soi-même. C’est ne plus être le même, ce moi trop bien connu. On n’est vraiment soi-même qu’en s’étonnant de soi. Si la personne en face de moi peut accomplir le même cheminement alors nous assistons à un ajustement où l’unique s’ajuste à l’unique, ce que Marquet nomme « la parfaite justesse », dans un mouvement de création réelle qui nous amène vers l’avant, dans la partie vierge de notre être.
Pour Marquet, la maîtrise de soi, c’est donc de renoncer à tout contrôle sur soi et de se faire le disciple de la vie en se mettant dans un monde d’anticipation, Marquet rappelant que le mot « anticipation » est formé des mots latins ante qui veut dire « avant » et caput, signifiant « tête »; donc aller la « tête en avant » afin de s’autoriser à mettre en question ce que l’on croit être, faire face à l’illusion et s’ouvrir au surgissement du nouveau. Se laisser surprendre par soi-même.
Cela représente à la fois une sorte d’impassibilité bienveillante, de patience compatissante, de fatalisme souriant, de détachement sympathique qui peut seulement nous venir du silence, de la méditation et de l’abandon de notre savoir, de notre savoir-faire et de toute certitude. Alors seulement, nous pouvons entrer dans le Vide créateur d’où pourra émerger l’inattendu, l’unique, le vrai… et la liberté.
Comme notre vie n’exprime pas toujours notre vérité mais surtout des contraintes, des conditionnements et des peurs, cette conférence du philosophe-thérapeute Denis Marquet, à la Conférence européenne ICF, du 17 au 19 juin 2010, à Paris, à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister, fut une occasion privilégiée de réfléchir à notre mode d’action comme coach et à notre propre recherche de vérité et de sens pour avoir une vie meilleure.