17 avril 2025

Le conflit relationnel, une plaie ou un apprentissage ?par Gilles Tétu, PCC

Le conflit relationnel, une plaie ou un apprentissage ?

Récemment, un capitaine de navire me confiait que la plus grande difficulté dans son métier n’était pas de maîtriser les divers paramètres du bateau, mais bien de gérer les relations humaines et particulièrement les conflits. Sans exagérer, on pourrait affirmer que c’est l’aspect le plus difficile de tout gestionnaire.

À cet égard, nous pouvons identifier deux types de conflits (1) :

Le conflit cognitif qui est centré sur la tâche ou le processus opérationnel. La dimension émotive n’est pas son principal moteur. Il se résout par le processus de résolution de problème, en quatre étapes :

  1. Définir le problème
  2. Identifier des solutions
  3. Analyser et choisir les solutions acceptables par les parties.
  4. Déterminer les modalités d’implantation des solutions.

Le conflit relationnel pour sa part présente une complexité plus importante. En effet, les dimensions de pouvoir et d’émotions (2,3) compliquent sa résolution. Il est souvent alimenté par la perception que le comportement de l’autre est mauvais et d’autre part, les intentions que je lui attribue sont perçues comme la vérité.

Pour agir dans la complexité, le postulat est qu’il n’existe pas une seule réalité. Il existe diverses versions d’un événement que chacun raconte à sa façon et croire que sa propre vision de la situation est vraie est un obstacle à son règlement. Comme le souligne l’adage : « La manière dont on voit le problème EST le problème » (4). Chacune des parties dans un conflit construit une histoire en sélectionnant les faits qui lui conviennent, en la simplifiant pour que l’histoire contienne sa solution et finalement en réduisant l’autre à un simple fautif.

De même, la recherche de la cause du conflit est vaine et mène à une impasse. Par exemple, si vous êtes perdu et que vous demandez votre chemin, les causes de votre égarement ne sont pas importantes. Ce qui est important, c’est où vous êtes et où vous voulez aller. D’ailleurs, la recherche de cause s’inscrit dans une dynamique de blâme nous convainquant encore plus que nous avons raison et que l’autre est le problème.

D’où l’importance d’énoncer des prémisses :

Prémisses à la résolution du conflit :

Moi-même.

Nous sommes le premier obstacle au conflit (5). La principale difficulté est de voir la situation ou l’autre autrement. C’est ainsi que les individus préfèrent maintenir une situation pénible, mais connue qu’une action nouvelle aux répercussions inconnues.

L’une des façons de nourrir un conflit est d’avoir des attentes irréalistes à l’égard de l’autre. De demander que l’autre change est peu réaliste. Ce que l’on veut vraiment n’est pas que l’autre change, mais qu’il change de comportement. Pour ce faire nous devrons d’abord modifier notre pensée qui elle modifiera notre comportement. En effet, si je pense que l’autre est méchant et égoïste, les chances sont fortes pour que je conserve le même type comportement.

En outre, la gestion de nos perceptions et de notre pensée est l’aspect dont vous avez le plus de pouvoir.

Éviter de juger l’autre

Dans un conflit relationnel, il est difficile de voir ses propres failles et d'apprécier la vision de l’autre. Il est crucial d’abandonner une approche manichéenne. Blâmer l’autre n’est pas productif. Il s’agit ici de revenir sur une description honnête des faits. Qu’est-ce qu’il a dit et non pas ce que je pense qu’il voulait dire. Ce qui exclut toute spéculation sur ses motivations, ses peurs ou ses intentions. Toute chose que nous ne savons pas, mais que nous jugeons. Nous devons être dans le comportement observable, la parole dite et les faits sans son interprétation.

Une fois que nous adoptons la bonne posture avec l’autre, nous pouvons envisager une résolution de conflit par les étapes suivantes :

Se préparer :

Comme le souligne Hengen (6) : « Il faut préparer la rencontre avec rigueur et la mener avec souplesse ».

- L’objet du conflit

L’identification de quelques incidents critiques récents permet de préciser comment se joue la dynamique relationnelle. Le faire sans interprétation, en se basant sur les faits. Il faut se distancer du désir de vengeance et de l’intention d’égaliser le « pointage ».

- Gérer l’émotion (2).

La maîtrise du stress est essentielle avant d’intervenir. Évidemment, nous convenons que le conflit génère de l’anxiété pour les deux parties. Nul besoin de souligner que dénouer un conflit exige du calme et un certain détachement. L’une des méthodes (1) consiste à faire une liste sur papier de toutes les pensées et reproches envers l’autre et de jeter le papier par la suite avant la rencontre, ce qui aide à libérer les émotions négatives.

- Faire l’inventaire de ce qui a été fait.

Identifier ce qui a été fait pour résoudre le conflit. Les mêmes comportements donneront les mêmes résultats. Il faudra alors déployer le comportement qui n’a pas été utilisé.

- Viser un objectif réaliste.

Préciser ce que nous voulons n’est pas anodin. Il est préférable d’avoir une première rencontre moins ambitieuse comme de comprendre le comportement de l’autre. C’est supérieur à l’option de poursuivre un objectif ultime tel que « je veux qu’elle me traite de cette façon… ». Ou encore pire, avoir un objectif négatif comme « je ne veux pas que Laurent intervienne chaque fois que je parle à Philémon ». L’autre piège est d’avoir un objectif pour l’autre, tel que « je veux qu’il agisse ainsi ». Bref, il faut identifier un objectif qui soit positif et en fonction de ce que nous pouvons contrôler.

Les auteurs (1,7) proposent de se poser la question : « Qu’est-ce que mon interlocuteur devrait dire ou cesser de dire, faire ou cesser de faire, pour que je sois satisfait de l’effet produit ? ». La réponse à cette question vous donnera accès à votre vraie intention.

Faire la rencontre :

Adopter une posture inclusive « Nous » :

Le message en « Je » dois intégrer le nous ex : « Je voudrais regarder avec toi ce qu’il est possible de faire pour… » ou encore « je voudrais te proposer ma version et par la suite entendre la tienne ». Tout cela se fait en respectant la vision de l’autre et sa réalité.

Gérer le temps :

Cormier (1) parle d’une possibilité de deux ou trois rencontres d’une trentaine de minutes.

Favoriser un dialogue respectueux :

Être en mode dialogue (8) et non de discussion, cela implique d’être en écoute, en ouverture et en questionnement sans jugement. Ce qui nous permettra de mieux comprendre la version de l’autre et ainsi nous rapprocher d’une résolution du différend.

Les comportements à privilégier :

Les comportements à privilégier sont le calme, l’écoute (2,3), de tolérer l’ambiguïté, de questionner pour comprendre et d’accepter les silences. Cela implique de s’éloigner de notre émotivité. Monter dans nos émotions (2) ne fera qu’aggraver la situation. La préparation est l’élément clé pour cet aspect.

Conclure :

La conclusion de la rencontre se fait sur deux plans. D’abord avec l’autre, en mettant en perspective les points d’accord et ceux de divergences. Nous pouvons aussi partager les ententes prises et les prochaines étapes s’il y a lieu.

Ensuite, une introspection personnelle est bénéfique. Ce que nous venons de vivre est un riche moment d’apprentissage, si nous nous questionnons sur nos comportements. Trois questions sont essentielles à cet égard :

  • Qu’est-ce que je dois cesser à l’avenir ?
  • Qu’est-ce que je dois garder ?
  • Qu’est-ce que je dois commencer ?

En terminant, les conflits sont inévitables en gestion. Plutôt que de se culpabiliser ou culpabiliser l’autre, il est plus productif de reconnaître notre part de responsabilité et de prendre conscience que nous avons un pouvoir sur la situation. Ce pouvoir ne réside pas dans la possibilité de contrôler l’autre, mais dans notre capacité à influencer positivement la dynamique du conflit et à en tirer des leçons pour améliorer nos compétences relationnelles.

Je vous laisse avec cette pensée : « Une mer calme ne forme pas les grands marins ». Inconnu

Gilles Tétu est président de TGCO Inc., coach professionnel certifié PCC(ICF) et auteur en gestion (Journal les affaires, infolettre ACSSS et infolettre Coach Québec.)

Il a été cadre supérieur et directeur général dans le réseau de la santé ainsi qu’enseignant à l’Université Laval, conférencier au Québec et à l’international et consultant.

Ses sujets d’enseignement au deuxième cycle universitaire ont été la négociation interpersonnelle, la communication et le coaching de gestion. Il donne des formations sur « 90 jours pour réussir » aux nouveaux cadres du réseau de la santé. Il fait aussi du coaching individuel et de groupe.

Références :

(1) Cormier, S. Dénouer les conflits relationnels en milieu de travail, Presse Université du Québec, (note : il s’agit d’une des meilleures références en ce qui concerne la gestion de conflit entre vous et un(e) partenaire.)
(2) Wilson, C.R. 14 Conflic resolution strategies for workplace
(3) Van der Linden, L. 8 steps to effectively handle workplace conflict. 2023
(4) Dionne, P. Ouellet, G. La communication interpersonnelle et organisationnelle : effet Palo Alto, Gaëtan Morin, 1990
(5) Ury, W. Comment négocier avec les gens difficiles, Seuil, 1998
(6) Hengen, W.K. Managing moments of truth, Management review
(7) St-Arnaud, Y. La prise en charge de ses relations interpersonnelles, Revue québécoise de psychologie,
(8) Tétu G. Discussion ou dialogue, voilà la question, Infolettre ACSSS, 2023-10
(9) Labelle G. Comment désamorcer les conflits au travail, Collection entreprendre, (Note : Prévention du conflit, les étapes d’un conflit, comment intervenir à chaque étape,)

Gilles Tétu, PCC Coach professionnel certifié PCC