La sécurité psychologiquepar Gilles Tétu et Sophie Leduc
Plein d’erreur ou d’irrégularité émanant de la peur de s’exprimer ont causé plusieurs incidents et même des crises. L’absence de sécurité psychologique est souvent à l’origine de ces ennuis. Pour aborder cet important sujet, je vous propose une entrevue avec Sophie Leduc coach certifié PCC.
Qu’est-ce que la sécurité psychologique (SP)?
La sécurité psychologique se définit comme une conviction partagée selon laquelle il est sécuritaire de discuter d’idées, d’expériences, de prendre des risques, de donner son avis et d’apprendre de ses erreurs. Lorsque la SP est présente dans une équipe, la peur d’être jugé, ignoré ou ridiculisé fait place à l’envie de poser des questions, de dire ce qu’on pense, de prendre des risques calculés, d’admettre ses erreurs pour éviter aux autres de les répéter, de partager des idées même si celles-ci divergent de l’opinion des autres et de soulever des inquiétudes.
Pourquoi est-ce important?
Combien parmi vous ont déjà vécu cette situation? Vous arrivez au travail pour une réunion d’équipe. Vous entrez dans la salle avec vos collègues et vous vous installez tranquillement. La réunion démarre et votre gestionnaire propose une nouvelle idée de projet. Au fil de ses explications, vous réalisez que vous êtes en désaccord total avec sa proposition. Cependant, tout autour de vous, vos collègues hochent la tête avec un air satisfait. Vous vous demandez : suis-je le seul à penser ainsi? Ou peut-être que mes collègues pensent comme moi, mais n’osent pas le dire? Dans le doute, vous préférez rester silencieux.
Selon un sondage réalisé par l’institut Gallup en 2017 aux États-Unis, seulement trois employés sur dix estiment que leur opinion compte réellement au travail. Cette situation n’est donc pas rare. Dans un monde devenu complexe, incertain et où nous sommes tous interdépendants les uns des autres, les leaders n’ont plus le choix de s’appuyer sur leurs équipes pour trouver des solutions innovantes. La sécurité psychologique est devenue indispensable pour toute équipe qui souhaite se démarquer de ses compétiteurs et évoluer. Vous pouvez embaucher les meilleurs talents et avoir la meilleure stratégie d’entreprise, mais sans sécurité psychologique, il est peu probable que vous réussissiez à atteindre vos objectifs d’équipe. Vous avez besoin d’avoir accès à tous les cerveaux de votre équipe.
Quelles en sont les composantes?
La sécurité psychologique se compose de quatre éléments, soit la capacité à avoir des conversations courageuses, l’attitude devant le risque et les échecs, la capacité d’une équipe à s’entraider et l’inclusion de la dissidence.
- Les conversations courageuses | C’est être en mesure d’avoir des conversations difficiles et franches, même quand ça concerne le patron ou la patronne ou qu’il y a un enjeu politique.
- L’attitude devant le risque et les échecs | Ceci correspond à la perception qu’il est permis de commettre des erreurs et de prendre des risques. C’est la capacité d’une équipe à recadrer les erreurs comme un apprentissage.
- La capacité à s’entraider | Elle réfère au degré auquel les membres d’une équipe sont disposés à demander de l’aide et à la recevoir ainsi que l’engagement envers les objectifs de l’équipe par rapport aux objectifs individuels.
- L’inclusion de la dissidence | L’idée proposée n’est pas seulement d’accepter les opinions divergentes, mais de les solliciter. Quand on dit tous la même chose, on passe potentiellement à côté d’éléments importants à considérer dans nos discussions.
Que ne représente PAS la sécurité psychologique?
Il pourrait être facile de confondre la sécurité psychologique avec une culture de complaisance. La réalité en est tout autre. La SP requiert du courage et un réel leadership.
On pourrait penser que la SP signifie l’absence de conflits – Au contraire, bien que le respect reste au cœur du concept, un environnement sécuritaire devra nous permettre d’avoir le courage de dire à son collègue qu’on n’est pas d’accord avec son opinion. Le débat sera alors tourné vers le sujet et non une attaque personnelle, dans le but de débattre de nos idées pour choisir ce qui convient le mieux pour le bien de l’entreprise.
On pourrait se dire que ça dépend surtout de la personnalité de ses employés – Pourtant, la SP se distingue de la confiance du fait qu’elle est issue d’une dynamique d’équipe. Quand la SP est présente, même le petit nouveau et les introvertis se sentent à l’aise de donner leur opinion.
On pourrait aussi croire que la SP mène toujours à un consensus – Bien que de permettre à tous de s’exprimer peut parfois mener à des décisions prises par consensus, ce n’est pas toujours le cas. Comme nous travaillons avec des enjeux complexes, il est fréquent qu’il n’y ait pas de solution magique; les avantages et inconvénients sont donc discutés en équipe, et le leader devra parfois trancher. Les membres de l’équipe qui ont la sincère conviction d’avoir été entendus auront alors plus de facilité à se rallier.
Enfin, le plus important est de savoir que la SP ne diminue pas les attentes de résultats. En fait, les équipes les plus performantes combinent à la fois une sécurité psychologique élevée et un engagement très élevé à atteindre des résultats exceptionnels. Si l’un ou l’autre n’est pas présent, l’équipe se retrouve dans une zone d’apathie. Je vois aussi souvent des équipes qui ont seulement un des deux éléments. En ayant uniquement la sécurité psychologique sans engagement de résultats, on reste dans notre zone de confort. À l’inverse, en ayant que la pression des résultats sans SP, l’équipe est dans un état d’anxiété. Pour être performante, l’équipe doit donc viser de hauts résultats ET un haut taux de SP.
Que faire pour l’implanter dans ma direction?
Vos collaborateurs ne parleront pas tant qu’ils ne sauront pas qu’il est sécuritaire de le faire. Avant de demander à vos équipes de faire preuve de candeur, assurez-vous d’avoir créé un environnement prêt à accueillir leur courage. Bien que la SP soit la responsabilité de tous les membres d’une organisation, votre rôle de leader aura un impact important.
Pour y arriver, Amy C. Edmondson[1] nous propose un plan en trois (3) étapes :
1) Nommer votre intention
Donner l’orientation (problème, contexte, etc.) et clarifier vos attentes : « Participer et être en désaccord fait partie de votre travail. Je m’attends à des commentaires. »
Normaliser les échecs et les erreurs : « On est tous humains. De plus, nous devons expérimenter pour voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. »
Soyez un modèle de ce que vous prêchez en acceptant de vous montrer vulnérable : « J’ai moi-même déjà fait des erreurs par le passé (…) »
2) Solliciter l’engagement
Organiser des rencontres d’équipes ou des groupes de discussion avec des gens de différents services et différents niveaux hiérarchiques afin de favoriser la diversité.
Positionnez-vous en dernier et posez des questions ouvertes et non dirigées afin de ne pas influencer ce que les autres ont à dire.
Invitez des commentaires pour clarifier et améliorer : « Quelle est une autre façon d’y penser? Qu’est-ce que je ne vois pas? Que verrait quelqu’un qui serait contre ce projet?
3) Démontrer une réelle ouverture
Faites preuve de retenue en laissant l’équipe parler. Osez questionner ceux qui parlent moins durant ou après les rencontres.
Écoutez, posez des questions et démontrez une réelle curiosité à comprendre ce que l’autre amène comme idée surtout si elle est contraire à la vôtre (et encouragez l’équipe à faire de même) : « Dis-m’en plus. »
Renforcez publiquement les personnes qui demandent ou proposent de l’aide, font preuve de vulnérabilité, osent la divergence, admettent leurs erreurs, etc.
Comment me donner un environnement sécuritaire à moi, si mon milieu ne l’est pas ?
Bien que la direction d’une entreprise ait une grande influence sur la SP, cette dernière demeure la responsabilité de tous les membres de l’organisation. Si la culture organisationnelle ne la favorise pas, il est tout à fait possible de vous créer un environnement sécuritaire personnel. Voici quelques stratégies :
· Établissez vos limites personnelles | Définissez ce qui est acceptable pour vous et communiquez ces limites aux autres de manière respectueuse.
- Cultiver votre soutien | Entourez-vous de collègues ou d’amis à l’interne ou en dehors du travail qui ne vous jugent pas et avec lesquels vous pouvez être vous-même.
- Communiquer de manière assertive | Exprimer vos pensées, sentiments et besoins de manière claire et respectueuse sans agressivité au moment opportun.
- Prioriser votre bien-être | Soyez alertes de votre niveau de stress et de bien-être et agissez rapidement pour vous ressourcer au besoin.
- · Développez vos compétences | Apprenez-en plus sur des sujets comme la gestion des conflits, l’intelligence émotionnelle et la communication.
En mettant en œuvre ces stratégies, vous pouvez créer un environnement plus sécuritaire pour vous-même, même si votre milieu de travail ne l’offre pas. De plus, en tant que leader, vous pouvez influencer la culture de votre entreprise en favorisant la SP de votre propre équipe et lors de vos interactions avec les autres membres de l’organisation.
La réalité est que la sécurité psychologique est un aspect qui peut toujours être amélioré et qui évolue dans le temps. Même dans des milieux où elle est élevée, chaque comportement est un levier pour la maintenir ou la diminuer. Il s’agit donc d’une posture à maintenir en continu. Posez-vous souvent la question : est-ce que mon comportement contribue à augmenter ou diminuer la SP de mon organisation ?
Le philosophe et politicien Irlandais, Edmund Burke disait : « Aucune autre passion que la peur n’ôte aussi sûrement à l’esprit ses capacités d’action et de raisonnement »
Si vous avez des commentaires, merci de me les faire parvenir à : gilles.tetu.tgco@telus.net
2024-12
Gilles Tétu est président de TGCO Inc., coach professionnel certifié PCC(ICF) et auteur en gestion (Journal les affaires, infolettre ACSSS et infolettre Coach Québec.)
Il a été cadre supérieur et directeur général dans le réseau de la santé ainsi qu’enseignant à l’Université Laval, conférencier au Québec et à l’international et consultant.
Ses sujets d’enseignement au deuxième cycle universitaire ont été la négociation interpersonnelle, la communication et le coaching de gestion. Il donne des formations sur « 90 jours pour réussir » aux nouveaux cadres du réseau de la santé. Il fait aussi du coaching individuel et de groupe.
Sophie Leduc est coach PCC et fondatrice de Vaillance consultation. Tout au long de son parcours professionnel, Sophie a exploré avec passion et curiosité la complexité de l’humain et des équipes. Elle est titulaire d’un baccalauréat ès sciences et d’une maîtrise en relations industrielles. Certifiée de Mozaik Coaching aux cycles 1 et 2, elle est certifiée PCC (ICF) et est l’une des premières coachs à avoir obtenu l’accréditation ACTC (ICF) à titre de coach d’équipe. Elle accompagne des équipes de travail et des dirigeants afin qu’ils incarnent un leadership authentique et intentionnel pour créer des dynamiques d’équipe saines et performantes.
Bibliographie :
[1] Edmondson, C. Amy (2022) L’entreprise sereine – La sécurité psychologique, le levier d’une organisation performante, apprenante et innovante, Pearson