L'équilibre avant le mitanpar Marie-Paule Dessaint
Le bonheur consiste sans doute à jongler efficacement avec les multiples réalités qui nous atteignent. Jean-François Somain
Lors d’une conférence prononcée en septembre 1996, Brian G. Dyson, alors président et chef de la direction de Coca-Cola, comparait la vie à une série de cinq balles avec lesquelles nous jonglons continuellement : travail, famille, amitiés, santé et spiritualité (sens). La balle «travail» est en caoutchouc et les autres en verre. Si la première tombe, elle rebondit et conserve sa forme d’origine, alors que les autres seront éraflées, ébréchées ou carrément cassées, pour toujours.
S’il est tout à fait légitime, voire essentiel, de nous donner à fond dans notre travail, une limite ne devrait jamais être franchie : en faire l’unique source de sens dans notre vie, au détriment des autres balles du jongleur. Ceux qui agissent ainsi finissent par en payer le prix, un jour ou l’autre.
Tout d’abord au mitan de la vie.
Le mitan, c’est cette période charnière de la vie, située entre 45 et 60 ans, parfois bien avant. C’est le moment où l’on remet bien des choses en question et où l’on se pose la grande question du sens de notre existence si cela n’a pas été fait avant, pris que nous étions dans le tourbillon de la vie.
- Qu’ai-je accompli jusqu’à présent?
- Cela valait-il la peine de faire tous ces sacrifices?
- Devrais-je continuer ainsi ou changer de voie?
- Ma relation de couple pourra-t-elle survivre?
- Pourrai-je, un jour, réaliser tous les rêves que j’ai mis en veilleuse pour me marier, élever mes enfants et sécuriser ma carrière?
- Vais-je rester suffisamment en santé pour me rendre jusqu’à ma retraite et en profiter?
- Que vais-je laisser derrière moi?
Cette toute dernière question de la générativité est tout particulièrement angoissante pour certains. La générativité, c’est cette trace que l’on laisse derrière soi lorsque le don d’un peu de soi devient plus important que soi et qui nous rend un peu immortel. Elle ne peut exister sans de solides valeurs de coopération, de solidarité et de partage, la générosité ainsi que la volonté de collaborer au bien-être d’autrui, en même temps qu’au nôtre.
Cette crise2 peut être vécue assez facilement pour certains, mais plutôt douloureusement pour d’autres, particulièrement s’ils prennent conscience que le travail n’a servi qu’à mousser leurs propres intérêts et leur propre personne. Ou encore si des changements inattendus leur ont été imposés : perte de l’emploi, rétrogradation, perte du conjoint ou de la conjointe et problèmes de santé. C’est d’ailleurs à cette période de la vie que l’on compte le plus de dépressions, de séparations et même desuicides 1 .
Puis au début de la retraite.
Si la crise du mitan n’a pas été résolue, elle se répercutera automatiquement sur la transition de la retraite. J’ai rencontré plusieurs retraités qui, après quelques temps de repos et d’activités variées, se posaient, avec davantage d’acuité encore, cette grande question du sens de leur existence. C’est d’ailleurs l’objectif qui vient en premier lieu, dans plus de 90% des cas, dans les demandes de consultation de coaching que je reçois. Cela tout particulièrement de la part des personnes qui ont eu une carrière bien remplie et qui disposent de moyens financiers largement suffisants.
- Que faire maintenant que les loisirs, les activités, les projets, les voyages et le repos tant espérés n’apportent plus le bien-être qu’ils espéraient?
- Pourquoi cette tristesse qui les habite, sans raison?
- Pourquoi cet inconfort dans tout ce qu’ils entreprennent (et abandonnent rapidement, d’ailleurs).
- Comment se sentir encore utile?
- Comment aller à la rencontre des autres?
- Comment survivre au départ de l’autre?
Voilà quelques-unes des questions qui reviennent souvent, particulièrement celles qui concernent «l’utilité» que l’on peut traduire par Quel sens donner encore à ma vie? La solitude vient ensuite (ou en parallèle), ainsi que le désir de retrouver une santé souvent négligée, non seulement à cause du temps qui a manqué, mais aussi à cause des habitudes de vie non adaptées qui découlent de ce mal de vivre.
C’est alors qu’un sérieux bilan de vie s’impose.