15 janvier 2011

L'équilibre avant le mitanpar Marie-Paule Dessaint

Le bonheur consiste sans doute à jongler  efficacement avec les multiples réalités qui nous atteignent. Jean-François  Somain

Lors d’une  conférence prononcée en septembre 1996, Brian G. Dyson, alors président et chef  de la direction de Coca-Cola, comparait la vie à une série de cinq balles avec  lesquelles nous jonglons continuellement : travail, famille, amitiés,  santé et spiritualité (sens). La balle «travail» est en caoutchouc et les  autres en verre. Si la première tombe, elle rebondit et conserve sa forme  d’origine, alors que les autres seront éraflées, ébréchées ou carrément  cassées, pour toujours.

S’il est  tout à fait légitime, voire essentiel, de nous donner à fond dans notre  travail, une limite ne devrait jamais être franchie : en faire l’unique  source de sens dans notre vie, au détriment des autres balles du jongleur. Ceux  qui agissent ainsi finissent par en payer le prix, un jour ou l’autre.

Tout d’abord au mitan de la vie.

  Le mitan,  c’est cette période charnière de la vie, située entre 45 et 60 ans, parfois  bien avant. C’est le moment où l’on remet bien des choses en question et où  l’on se pose la grande question du sens de notre existence si cela n’a pas été  fait avant, pris que nous étions dans le tourbillon de la vie.

  • Qu’ai-je accompli jusqu’à présent?
  • Cela valait-il la peine de faire tous ces       sacrifices?
  • Devrais-je continuer ainsi ou changer de       voie?
  • Ma relation de couple pourra-t-elle       survivre?
  • Pourrai-je, un jour, réaliser tous les       rêves que j’ai mis en veilleuse pour me marier, élever mes enfants et       sécuriser ma carrière?
  • Vais-je rester suffisamment en santé pour       me rendre jusqu’à ma retraite et en profiter?
  • Que vais-je laisser derrière moi?

Cette toute  dernière question de la générativité est tout particulièrement angoissante pour  certains. La générativité, c’est cette trace que l’on laisse derrière soi  lorsque le don d’un peu de soi devient plus important que soi et qui nous rend  un peu immortel. Elle ne peut exister sans de solides valeurs de coopération,  de solidarité et de partage, la générosité ainsi que la volonté de collaborer  au bien-être d’autrui, en même temps qu’au nôtre.

Cette crise2 peut être vécue assez facilement pour certains, mais plutôt douloureusement  pour d’autres, particulièrement s’ils prennent conscience que le travail n’a  servi qu’à mousser leurs propres intérêts et leur propre personne. Ou encore si  des changements inattendus leur ont été imposés : perte de l’emploi,  rétrogradation, perte du conjoint ou de la conjointe et problèmes de santé.  C’est d’ailleurs à cette période de la vie que l’on compte le plus de dépressions,  de séparations et même desuicides 1 .

Puis au début de la retraite.

  Si la crise  du mitan n’a pas été résolue, elle se répercutera automatiquement sur la  transition de la retraite. J’ai rencontré plusieurs retraités qui, après  quelques temps de repos et d’activités variées, se posaient, avec davantage  d’acuité encore, cette grande question du sens de leur existence. C’est  d’ailleurs l’objectif qui vient en premier lieu, dans plus de 90% des cas, dans  les demandes de consultation de coaching que je reçois. Cela tout  particulièrement de la part des personnes qui ont eu une carrière bien remplie  et qui disposent de moyens financiers largement suffisants.

  • Que faire maintenant que les loisirs, les       activités, les projets, les voyages et le repos tant espérés n’apportent       plus le bien-être qu’ils espéraient?
  • Pourquoi cette tristesse qui les habite,       sans raison?
  • Pourquoi cet inconfort dans tout ce qu’ils       entreprennent (et abandonnent rapidement, d’ailleurs).
  • Comment se sentir encore utile?
  • Comment aller à la rencontre des autres?
  • Comment survivre au départ de l’autre?

Voilà  quelques-unes des questions qui reviennent souvent, particulièrement celles qui  concernent «l’utilité» que l’on peut traduire par Quel sens donner encore à ma vie? La solitude vient ensuite (ou en  parallèle), ainsi que le désir de retrouver une santé souvent négligée, non  seulement à cause du temps qui a manqué, mais aussi à cause des habitudes de  vie non adaptées qui découlent de ce mal de vivre.

C’est alors  qu’un sérieux bilan de vie s’impose.


1 Vous le savez très certainement, en grec,  la crise, Κρίσις, est la faculté de prendre une décision entre deux choix  possibles. En Chine, crise et opportunité s’écrivent de la même façon.

2 Ces références sont disponibles sur demande.

Marie-Paule Dessaint Coach de vie