15 novembre 2013

Chronique recherche en coachingpar Yvon Chouinard, ACC

Le pouvoir modifie les réactions du cerveau dans nos relations avec les autres

La notion de pouvoir

En coaching, les gestionnaires sont généralement mal à l’aise avec la notion de pouvoir. En fait, ils prononcent le mot « pouvoir » avec beaucoup de prudence car ils ne veulent surtout pas qu’on les croit « affamés de pouvoir ». Toutefois, l’exercice du pouvoir par un gestionnaire est non seulement légitime, mais essentiel.

Autant comme nom que verbe, le mot pouvoir se définit comme la faculté, la capacité ou la possibilité d’accomplir une action ou de produire un effet. La notion de pouvoir comprend aussi l’idée d’autorité, de puissance - de droit ou de fait - détenues par quelqu’un sur quelqu’un d’autre.

Toutefois, le manque ou l’absence de pouvoir,  souvent caractérisé par l’impuissance,  est bien souvent l’objet de discussions en coaching. L’impuissance est surtout exprimée sous la forme de peurs ou d’impressions1 : la peur de l’échec, d’être mis à pied. L’impression de ne pas avoir de pouvoir sur les demandes et celle de ne pas pouvoir réussir. La difficulté ou même l’impossibilité de réaliser l’un ou l’autre des besoins humains fondamentaux.

Le manque de pouvoir vu comme une impuissance  est vrai au travail comme en politique. Richard Bergeron, candidat à la mairie de Montréal, l’a bien exprimé dans une entrevue accordée à Michèle Ouimet3 qui disait que Bergeron avait  hâte d'être au pouvoir et qu’il avait détesté ses huit années dans l'opposition.

«C'est pas le fun, être dans l'opposition, la maudite opposition. On est toujours négatif, toujours en train de s'opposer. C'est hyper mégafrustrant de voir toutes les conneries de l'autre qui gagne parce qu'il est majoritaire. Et quand on propose quelque chose, on perd. C'est humiliant.»

Il est très pertinent pour un coach de gestion ou de cadres supérieurs d’aborder le sujet du pouvoir avec ses clients. D’ailleurs, l’une des raisons principales qui amène les organisations à proposer un programme de coaching – même si la raison n’est pas si clairement décrite – c’est la manière dont un gestionnaire exerce son pouvoir.

Les professionnels de ressources humaines vont surtout parler de leadership ou d’habiletés de gestion pour décrire les objectifs de coaching, mais si l’on y pense bien, c’est généralement un défi d’exercice de pouvoir ou de compréhension des modes d’exercice du pouvoir dans l’organisation - souvent associés à la maîtrise des habiletés politiques2- qui justifient le coaching.

Le pouvoir change les gens.

Le pouvoir et les changements de comportements

En fait, presque tout le monde a pu observer des changements de comportements significatifs chez des personnes à qui l’on venait de confier un nouveau poste de gestion ou de direction. Peu importe le domaine, y compris le domaine des organismes sans but lucratif.

Or, une étude récente4, menées par trois chercheurs canadiens, a permis d’examiner si le pouvoir a pour effet d’ augmenter ou de réduire la sensibilité aux autres, en examinant le fonctionnement des mécanismes de résonance motrice chez l’humain. Mais avant d’aller plus loin, expliquons un peu de quoi il est question.

En 1992, une équipe de chercheurs italiens basés à Parme5,  a découvert  l’existence de neurones miroir dans le cortex prémoteur des singes macaques. On les a appelés ainsi car les chercheurs ont compris que la même structure cérébrale est active dans le cerveau d’un primate non humain lorsqu’il exécute une action et lorsqu’il observe la même action exécutée par un congénère (ou un expérimentateur humain).

Les chercheurs de Parme ont alors interprété l’activité des neurones miroir comme un mécanisme de « résonance » qui coordonne l’activité des mêmes aires cérébrales entre un agent et un observateur. Sans exécuter l’action, l’observateur forme dans son cerveau, la même représentation motrice de l’action que l’agent qui exécute l’action. Le système moteur de l’observateur résonne donc avec celui de l’agent de l’action observée.

L’expérience des chercheurs canadiens

Pour conduire leur expérience, les chercheurs canadiens ont d’abord conditionné les participants par induction –une technique bien connue - en leur demandant de s’asseoir devant un ordinateur dans un laboratoire et d’écrire un texte. Un premier groupe devait écrire un texte par rapport à une expérience où quelqu’un détenait le pouvoir sur eux. Un autre groupe (neutre) devait simplement écrire un texte concernant ce qu’il avait vécu la veille. Et finalement, on demanda à un troisième groupe de rédiger un texte à propos d’une expérience où ils avaient du pouvoir sur quelqu’un.

Les chercheurs ont ensuite mesuré la résonnance motrice en utilisant la technique de stimulation magnétique transcranienne (SMT). L’appareil n’existe que depuis 2008. Grâce à la SMT il est possible de  moduler l’activité des neurones en fonction des courants électriques.

Passons par-dessus les détails de l’expérimentation qu’il serait long d’expliquer dans le peu d’espace que nous avons ici, et allons immédiatement aux résultats de l’expérience.

Conclusions

Les résultats de l’étude supportent l’hypothèse initiale que les chercheurs avaient posé à l’effet qu’il y a une relation linéaire entre le pouvoir et le système de résonance motrice chez les individus, ce qui signifie qu’une augmentation des niveaux de pouvoir sont associés à  une diminution de la résonance émotionnelle dans les interactions avec les autres.

Ces résultats viennent aussi confirmer d’autres recherches à l’effet  que plutôt de chercher à obtenir des informations à propos des personnes prises individuellement avec lesquelles ils interagissent, ceux qui ont du pouvoir vont plutôt se fier à des stéréotypes qui servent à rationaliser les préjugés qu’ils ont par rapport à certains groupes de personnes (ex. tous les ingénieurs sont rigides).

Implications pour le coaching

Les anecdotes sont nombreuses concernant des patrons qui semblent simplement ignorer ou feindre d’ignorer  l’existence des travailleurs sur le plancher de l’usine ou au bureau, ou du jeune vendeur dont le directeur régional ne semble jamais se souvenir du nom.

Les résultats de cette étude nous éclairent sur les raisons qui font que ces événements se produisent souvent, et plus généralement, nous aident à comprendre pourquoi ceux qui ont du pouvoir ont tendance à négliger ceux qui n’en ont pas.

Une conclusion surprenante que nous pouvons tirer de cette étude, c’est que même une petite dose de pouvoir, par exemple une première promotion ou plus d’argent, peut diminuer la capacité d’avoir de l’empathie pour les autres.

Or, cette sensibilité aux autres est clairement essentielle afin de pouvoir les influencer. Trop souvent,  les gestionnaires abordent le pouvoir comme la capacité d’obtenir quelque chose ou d’imposer leur point de vue.

 Dans son livre « Pouvoir, leadership et autorité dans les organisations »6, Pierre Collerette nous rappelle qu’il y a plusieurs façons d’obtenir des choses « et l’imposition n’en constitue qu’une. On peut demander, on peut suggérer, on peut inviter, et si l’on obtient ce que  l’on désire, on aura eu du pouvoir, même si c’est par des moyens non contraignants. »

La bonne nouvelle, c’est que si quelqu’un peut perdre de l’empathie en ayant plus de pouvoir, il est possible de la récupérer. Ainsi, il a été démontré que les étudiants en médecine perdent graduellement leur empathie envers les patients. La perte d’empathie avec les médecins est associée à un mécanisme de survie qui leur permet permet de se prémunir contre leur propres fragilités émotionnelles. Cependant, avec un accompagnement adéquat, ils peuvent redevenir plus empathiques.

C’est pourquoi, les gestionnaires qui risquent, semble-t-il naturellement, de perdre leur empathie envers les autres lorsqu’ils acquièrent du pouvoir, auraient intérêt à obtenir du coaching afin de les guider dans leur apprentissage du pouvoir, dans le but non seulement de le conserver, mais de l’exercer avec sagesse et humanité.

 

  1. Gagnon G. & Privé, C., (2007) «En parler pour agir. Solitude et sentiment d’impuissance des gestionnaires. » Congrès annuel de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.
  2. Ouimet, G. (2008). Psychologie du pouvoir organisationnel. La maîtrise des habiletés politiques. Montréal : Chenelière Éducation.
  3. Ouimet, M. « Richard Bergeron : le combattant. La Presse, 9 octobre 2013.
  4. Hogeveen, J., Inzlicht, M. & Obhi, S.S. (2013) Power changes how the brain responds to others. Journal of Experimental Psychology: General. http://www.michaelinzlicht.com/wp/wp-content/uploads/downloads/2013/06/Hogeveen-Inzlicht-Obhi-in-press.pdf
  5. Jacob. P. (2007). Neurones miroir, résonance et cognition sociale. Psychologie française 52 (2007) 299–314
  6. Collerette, P. (2002). Pouvoir, leadership et autorité dans les organisations. Ste-Foy : Presses de l’Université du Québec.
Yvon Chouinard, ACC ACC, CRHA