15 mars 2013

Chronique recherche en coachingpar Yvon Chouinard, ACC

Lintelligence émotionnelle et ses dimensions prédictives en coaching

Un des principaux éléments en coaching est la facilitation de changements positifs chez nos clients. Ces changements comprennent souvent des niveaux plus élevés de bien-être subjectif qui peuvent être aussi bien cognitifs (ex.  les clients évaluent qu’ils sont plus satisfaits de leur vie), qu’affectifs (ex. les clients vivent plus de sensations positives que négatives).

Le sujet de l’intelligence émotionnelle a fait couler beaucoup d’encre depuis que Daniel Goleman[i] en a popularisé le concept avec son bestseller publié en 1995. Toutefois, c’est au 19e siècle que nous pouvons trouver les racines de l’intelligence émotionnelle dans les travaux de Charles Darwin à propos de l’importance de l’expression des émotions pour la survie et l’adaptation des espèces. Plus récemment, en 1983, Howard Gardner[ii] introduisit l’idée des intelligences multiples qui incluait autant la notion d’intelligence interpersonnelle (la capacité de comprendre les intentions, les motivations et les désirs des autres) que l’intelligence intra personnelle (la capacité de se comprendre soi-même et de reconnaître ses sentiments, ses craintes et ses motivations). On attribue à Wayne Payne la première utilisation de l’expression « intelligence émotionnelle » en 1985, dans sa thèse de doctorat portant sur l’étude des émotions.

Daniel Goleman  (et d’autres auteurs)[iii] définit l’intelligence émotionnelle comme « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres. »

L’intelligence émotionnelle au travail revêt une importance primordiale si nous considérons que 75% des causes qui font dérailler les carrières sont reliées à l’intelligence émotionnelle, dont l’incapacité à gérer son équipe durant des périodes difficiles, à gérer des problèmes relationnels, à s’adapter au changement ou à susciter la confiance.[iv]On comprend bien aujourd’hui que le rôle d’un gestionnaire ou d’un leader va bien au-delà de simplement s’assurer que le travail est bien accompli. En effet, ses subordonnés ont aussi besoin de sentir un lien émotionnel de soutien et d’empathie de sa part pour être mobilisés dans leur travail.


L
’étude en bref

Une recherche récente a été menée par deux professeures, Selda Koydemir et Astrid Schütz de la faculté de psychologie de l’Université de technologie de Chemitz en Allemagne, auprès de deux groupes d’étudiants, en Turquie (n=86) et en Allemagne (n=101) respectivement,  afin de déterminer si on pouvait prédire un lien entre l’intelligence émotionnelle et les éléments cognitifs et affectifs généralement associés au bien-être individuel subjectif[v]. Les chercheuses ont aussi demandé aux étudiants de trouver au moins deux informateurs qui les connaissaient bien et qui étaient disposés à répondre à un questionnaire en ligne.

 Comme la manière d’être des gens dans le monde en fonction de leur personnalité est déjà un facteur reconnu pour prédire le bien-être subjectif, les auteurs ont aussi voulu savoir si on pouvait isoler l’intelligence émotionnelle comme étant un facteur unique de bien-être par rapport à la personnalité. Les résultats  été obtenus en isolant, donc en contrôlant, les cinq principaux traits de caractère souvent présentés sous le modèle OCEAN, soit l’Ouverture à l’expérience, le caractère Consciencieux, l’Extraversion, le caractère Agréable et le Neuroticisme.


Les r
ésultats

L’intelligence émotionnelle qu’on définit comme l’habilité à reconnaître correctement, comprendre et réguler les émotions, fut,  comme les hypothèses de l’étude l’avaient prédit, associée à un niveau plus élevé de bien-être selon l’évaluation faite par les personnes elles-mêmes. L’association positive s’est aussi révélée plus élevée dans les dimensions affectives (présence d’éléments positifs et absence d’éléments négatifs) que cognitives (jugement personnel sur la satisfaction de sa vie). Donc, même si les traits de base de la personnalité peuvent généralement bien expliquer la sensation de bien-être, particulièrement l’extraversion et le neuroticisme (ou névrotisme), nous savons maintenant que l’intelligence émotionnelle peut aussi avoir un impact significatif.

Un autre résultat important de cette recherche – et seulement pour cette recherche  - est que  les facteurs culturels (Allemagne versus Turquie) comptent peu dans la corrélation entre l’intelligence émotionnelle et la sensation de bien-être.

De plus, les données recueillies auprès des informateurs étaient modérément similaires à celles fournies par les participants eux-mêmes, ce qui signifie que les instruments d’auto-évaluation sont fiables.


Les implications pour le coaching

Cette constatation  que l’intelligence émotionnelle contribue au bien-être, et particulièrement le fait que cette contribution est unique et indépendante des principaux traits de personnalité et même des différences culturelles,  a d’importantes implications pour le coaching.

En effet, cela suggère que peu importe la personnalité – qu’un client soit introverti ou extraverti, généralement calme ou tendu - en aidant ce client à identifier ce qu’il ou elle ressent et pourquoi, et comment réguler efficacement ses émotions, le coach peut contribuer à améliorer  le bien-être de ce client.

Les stratégies de coaching peuvent comprendre les éléments suivants :

  • Aider les clients à reconnaître précisément ce qu’ils ou elles ou les autres peuvent ressentir;
  • Lorsque les clients sont dans le monde du « noir et blanc » à propos de leurs émotions et/ou de leur causes, le coach peut les aider à identifier deux autres options. Par exemple, « Quelles seraient deux autres raisons pour lesquelles votre gestionnaire pourrait avoir dit ce qu’il ou elle a dit? »;
  • Les aider à devenir entièrement conscients de leurs émotions, en les reconnaissant et en ne les évitant pas, mais aussi en ne les acceptant pas comme inévitables ou encore en n’y adhérant pas de manière exagérée;
  • Aider les clients à identifier des actions qui soient cohérentes avec leurs valeurs dans les situations qui se présentent à eux ou elles.


Quelques mises en garde et conclusion

L’étude n’a pas testé le niveau d’intelligence émotionnelle des répondants avec l’un ou l’autre des nombreux instruments qui existent à cet égard, se fiant exclusivement à la perception des participants de même que celle des informateurs.

De plus, la recherche fut effectuée avec des échantillons relativement petits et circonscrits dans des environnements globalement homogènes.

Finalement, si l’intelligence émotionnelle a effectivement eu un impact sur le bien-être des individus, il peut être considéré comme modeste, ce qui veut dire que les indicateurs comme les principaux traits de personnalité ne doivent pas être ignorés.

Cette étude vient donc renforcer les recherches antérieures à l’effet que les coachs doivent porter une attention particulière à la présence et au développement de l’intelligence émotionnelle chez leurs clients, car l’intelligence émotionnelle est liée à plusieurs aspects du fonctionnement de l’être humain comme la satisfaction dans différents aspects de leur vie (ex. les relations interpersonnelles), leur performance au travail, et leur réseau social.



[i] Daniel Goleman (1995). Lintelligence émotionnelle. Paris: Éditions Robert Laffont

[ii] Howard Gardner (1993) Multiple Intelligences.New York: Basic Books

[iii] Hendrie Weisinger (1998). Emotional Intelligence at Work. San Francisco: Jossey Bass Publisher

[iv] Daniel Goleman, Richard E. Boyatzis, & Annie McKee (2002) Primal Leadership, Boston: Harvard Business School Press.

[v] Selda Koydemir & Astrid Schütz (2012): Emotional intelligence predicts components of subjective well-being beyond personality: A two-country study using self- and informant reports, The Journal of Positive Psychology: Dedicated to furthering research and promoting good practice, 7:2, 107-118

Yvon Chouinard, ACC ACC, CRHA