15 février 2016

Coaching et langage non-verbal : les signaux honnêtes.par Yvon Chouinard, ACC

L’importance du canal social et de la paralinguistique

Le professeur Alex Pentland du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a invité à un événement social un groupe de gestionnaires qui devaient participer cinq jours plus tard à une compétition où l’on choisirait les meilleurs plans d’affaire présentés par ces gestionnaires. Lors de cet événement, il a toutefois accroché à leur cou un petit appareil – un sociomètre – qui a enregistré leurs signaux sociaux – ton de la voix (mais pas le contenu linguistique), gesticulation, proximité aux autres, etc. À partir de ces données, sans avoir lu ou entendu les propositions des gestionnaires, Pentland a pu prédire avec une précision de 87%, les gagnants de cette compétition.1

Cette expérience, et d’autres similaires que Pentland et ses collègues ont menées, démontrent l’importance du second canal de communication - le canal social - que nous utilisons, qui est basé non pas sur les mots, mais sur des indices sociaux que nous appelons aussi les « signaux honnêtes ».2 Il s’agit d’un terme biologique pour décrire les indices non verbaux que nous employons pour coordonner nos interactions sociales et qui ont pour effet de changer la perception de ceux qui reçoivent ces signaux.

Des expériences antérieures avaient d’ailleurs démontré que d’investir dans des entreprises sans avoir eu l’occasion d’en rencontrer les promoteurs, conduisait à de mauvaises décisions d’affaires.

En coaching, faire la distinction entre les mots, le ton de la voix et le langage non verbal du client, est une compétence de base. De plus, un coach doit savoir évaluer les préoccupations du client en allant au-delà de la description orale que celui-ci en fait. D’où l’importance de la dimension paralinguistique qui est le reflet extérieur de la condition émotionnelle d’une personne. Nous pouvons la reconnaître par les gestes, le ton de la voix, les postures, les expressions faciales et les yeux. C’est donc par son langage corporel qu’une personne manifeste aux autres ses divers états physiques, mentaux ou émotionnels.

Jusqu’où pouvons-nous aller dans notre interprétation du non verbal

Nous pouvons imaginer qu’avant que l’Homme puisse codifier des langues, le langage non verbal revêtait une importance capitale afin d’identifier les intentions des autres et communiquer des informations vitales.

Selon de nombreuses études en psychologie, il ressort que nous sommes généralement assez bons pour « lire » les autres. En fait, il semble que notre jugement est correct dans 70% des cas, en général.

Donc, le bon coach devrait facilement être capable d’observer le langage non verbal de son client afin d’évaluer, par exemple, s’il est en consonance avec ce qu’il dit.

Mais jusqu’où doit-il/elle aller dans son interprétation? Est-ce que son interprétation risque d’être erronée? Est-ce que la synergologie, par exemple, peut l’aider à interpréter les gestes de son client et en tirer des conclusions utiles pour faciliter le processus de coaching, ou si une telle approche est peu valable ou pertinente?

Le monde de l’espionnage

LaRae Quy, une ex-agente du FBI, rapporte dans son ouvrage Secrets of a Strong Mind, 3 que les réactions de notre corps sont plus honnêtes que nous pouvons le penser. C’est d’ailleurs le système limbique enfoui dans notre cerveau qui mobilise notre corps pour exprimer ce que nous ressentons réellement. Et nous avons peu de contrôle sur cette partie de notre cerveau. Le stress ou l’inconfort deviennent ainsi facilement visibles.

Toutefois, elle affirme qu’il n’y a aucun geste ou expression faciale qui peut indiquer qu’une personne ment. En effet, selon Quy, c’est une erreur sérieuse d’interpréter un geste isolément. Il faut plutôt considérer l’ensemble des gestes et observer les changements de comportement en bloc. Elle croit d’autre part, que les pieds sont les éléments les plus honnêtes de notre corps.

Elle raconte par exemple avoir rencontré un individu qu’elle soupçonnait d’avoir des contacts avec un espion russe. Elle a commencé la rencontre en confirmant des informations qu’elle possédait déjà dans le but de mettre la personne à l’aise. Son interlocuteur était alors très ouvert et détendu. Mais lorsqu’elle lui a parlé de l’espion russe, l’individu a décroisé ses jambes et s’est assis en posant ses pieds bien droits sur le sol. Selon Quy cela ne voulait pas dire qu’il mentait, mais il est devenu clair pour elle que ses questions généraient du stress chez son interlocuteur.

Le Dr. Paul Ekman, 4 un expert dans les micro-expressions faciales, et la plus grande autorité dans la détection du mensonge, affirme d’autre part, que c’est le visage qui est le principal endroit où nous exprimons nos émotions. Selon ses recherches, le visage peut mentir et dire la vérité en même temps. C’est d’ailleurs ce que nous apprenons à faire très tôt dans notre enfance, avec nos parents. Cependant, il est très difficile de capter ces micro-expressions lors d’une conversation. Il faut être un expert comme Ekman pour qui y arriver. Il accompagne d’ailleurs plusieurs acteurs afin de les aider à produire ces micro-expressions très subtiles dans le but de donner plus de vérité aux personnages qu’ils jouent.

La synergologie : une pseudoscience dénoncée

Un certain nombre de coachs croient que la synergologie peut les aider à mieux saisir le langage non verbal de leurs clients. Mais nous avons de mauvaises nouvelles pour eux.

En effet, deux articles importants ont exploré la validité scientifique de la synergologie pour conclure qu’il s’agissait d’une lecture pseudoscientifique du langage corporel qui singe les codes académiques afin de se bâtir une légitimité dans le marché de la formation.

Vincent Denault, Serge Larivée, Dany Plouffe et Pierrich Plusquellec, du Centre d’études en sciences de la communication non verbale du Centre de recherche de l’institut universitaire en santé mentale de Montréal, en arrivent à la conclusion que « sur la base des informations actuellement disponibles, se fier à la synergologie relève davantage d’un acte de confiance aveugle que d’un choix éclairé et responsable. »5

Les auteurs critiquent aussi le fait que des juges, procureurs et policiers, ainsi que d’autres professionnels en position d’autorité, aient « recours à des tenants de la synergologie et pourraient s’appuyer sur des concepts pour le moins incertains, sinon carrément contraires au consensus scientifique. »

De son côté, Pascal Lardellier, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bourgogne, est encore plus critique et cite en particulier un extrait de l’ouvrage de référence de Philippe Turchet 8 pour en montrer toute la vacuité : 6 « Le synergologue devient, le temps de la lecture des gestes de l’autre, le devin dont parlent les légendes. Derrière son regard d’analysant et derrière ses paroles qui « disent » ce qu’est l’autre, son discours a l’air si magique qu’il a l’air incroyable. »   Lardelier dit que « ces pseudo-scientifiques ne connaissent ni le doute, ni le recul critique […] c’est là qu’ils se situent aux antipodes de la posture de chercheur. » Même son de cloche à l’Association française pour l’information scientifique.7

Patrick Lagacé de La Presse qui a publié une série de chroniques critiques sur la synergologie en 2015 – et qui a reçu une mise en demeure de Philippe Turchet lui demandant de se rétracter et de s’excuser – écrivait que « chacun a le droit de croire à ce qui lui plaît ». Mais, selon son enquête, il est clair, jusqu’à preuve du contraire, que la synergologie est essentiellement de la fiction scientifique.9 Par exemple, le Journal of non verbal behavior qui est le journal académique de référence sur l’étude du non verbal publié depuis 1976, n’a jamais mentionné le mot synergologie à ce jour.

Implications pour les coachs

Il n’est donc pas utile pour les coachs d’interpréter chacun des gestes d’un client et de lui donner un sens. Par exemple, croiser ses bras n’indique pas nécessairement une fermeture. Le niveau d’énergie, la posture, le contact visuel, le débit et le ton de la voix sont des éléments plus importants pour tenter de comprendre ce qui se passe chez un client en coaching. D’ailleurs, une fois que le coach connaît un peu mieux la personne, il ou elle peut immédiatement sentir s’il y a quelque chose qui la préoccupe ou l’intéresse en fonction des signaux honnêtes. En effet, souvenons-nous que l’être humain a une aptitude naturelle à saisir le langage corporel chez ses congénères et à s’ajuster constamment en fonction de ce qu’il perçoit de manière continue.

Une des choses les plus utiles à faire en coaching est de partager ses impressions avec le client ou la cliente à propos de ce que nous avons observé. Par exemple : « J’ai remarqué que vous êtes devenue très animée lors que vous avez parlé de la possibilité de gérer ce projet. » C’est une façon de démontrer que l’on écoute bien, mais sans tenter de faire une interprétation fautive du langage corporel de la personne.

Si c’est une bonne pratique d’observer le langage non verbal de ses clients, les coachs devraient être aussi conscients de leur propre langage corporel et de l’impact qu’il a sur leur client. Par exemple, si acquiescer d’un signe de tête est utile pour faire progresser la conversation, le faire trop souvent peut avoir un effet négatif. S’il existe de nombreuses études dans le monde du sport à propos de l’impact du langage non verbal des coachs sur les athlètes, il en existe peu dans celui du coaching organisationnel. Une seule étude publiée en 2014 par Patrizia Ianiro et Simone Kauffeld 10 est venue confirmer que les coachs devraient être conscients de leur propre état mental avant d’entreprendre un entretien de coaching, car leur langage non verbal, dont leur humeur, a un impact significatif sur les résultats du coaching et la qualité de l’alliance avec la personne coachée.

Notes bibliographiques

  1. Pentland, Alex. (2008). Understanding ‘Honest Signals’ in Business. MIT Sloan Management Review, 50 (1), 70-75
  2. Pentland, Alex (2010). To Signal Is Human. American Scientist. 98, May-June, 204-211
  3. Quy, LaRae. (2012) Secrets of a Strong Mind. Seattle: CreateSpace Independent Publishing Platform.
  4. Ekman, Paul (2003). Emotions Revealed. New York: Henry Holt and Company.
  5. Denault, V, Larivée, S., Plouffe, D. & Plusquellec, P. (2015). La synergologie, une lecture pseudoscientifique du langage corporel. Revue de psychoéducation, 43 (2), 425-455
  6. Lardellier, Pascal (2008). Pour en finir avec la “synergologie”. Communication, 26 (2), 197-223
  7. Axelrad, Brigitte. Quand le corps dit tout haut ce que l’esprit pense tout bas. Science et pseudosciences. No 300, avril 2012.
  8. Turchet, Philippe (2004). La synergologie : comprendre son interlocuteur à travers sa gestuelle. Montréal : Les Éditions de l’Homme
  9. Lagacé, Patrick, La synergologie, commode et reposante. La Presse, 11 mai 2015
  10. Ianiro, Patrizia, M. & Kauffeld, Simone (2014). Take care what you bring with you: How coaches’ mood and interpersonal behavior affect coaching success. Consulting Psychology Journal: Practice and Research, 66(3), 231-257.
Yvon Chouinard, ACC ACC, CRHA