15 octobre 2015

Les émotions en coaching : doit-on toujours en tenir compte?par Yvon Chouinard, ACC

Introduction

Il est maintenant convenu que les émotions font partie de l’expérience vécue en coaching, que ce soit par le client ou par le coach. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

En effet, historiquement, les émotions étaient abordées avec prudence dans le monde du coaching. À ses débuts, l’organisme International Coach Federation (ICF) suggérait que les coachs devaient envisager référer à d’autres ressources les situations de coaching qui généraient des émotions fortes. Le coaching n’est pas de la psychothérapie disait-on alors. Pas plus qu’aujourd’hui d’ailleurs.

Cependant, l’ICF a depuis modifié sa perspective et avise maintenant les coachs qu’ils doivent être capables de travailler avec des émotions fortes. Cela fait d’ailleurs partie des compétences fondamentales que devrait posséder tout coach certifié ICF:

Se montrer confiant face à des émotions fortes et gérer ses émotions sans se laisser dominer ou déborder par les émotions du client.

Toutefois, selon un article publié dans The Coaching Psychologist par Peter Duffell et Carmelina Lawton-Smith en juin 2015, il ne faut pas croire que le sujet des émotions en coaching a été vidé. 1 En effet, selon les deux auteurs, il existe encore trois différentes perspectives concernant le traitement des émotions en coaching.

Trois perspectives potentielles des coachs face aux émotions

Soulignons d’abord que les émotions sont au cœur de la psychologie sociale2 qui s’intéresse à la façon dont les pensées, les sentiments et les comportements des gens sont influencés par la présence réelle, imaginaire ou implicite des autres.[.

Les émotions ne sont pas simplement des sentiments subjectifs, mais surtout une façon de nous relier au monde qui nous entoure. Les émotions indiquent comment nous pourrions avoir l’intention d’agir. D’ailleurs le mot « émotion » vient du latin motio qui signifie « action de mouvoir, mouvement ». C’est ainsi que chez les êtres humains l’émotion suppose des comportements (des mouvements) qui s’expriment dans leurs relations avec les autres. D’où l’importance qu’elles peuvent avoir en coaching. Malgré tout, certains suggèrent qu’on peut généralement les ignorer en coaching.

Les émotions doivent être ignorées car elles ne sont pas pertinentes ou utiles

Par exemple, les coachs qui privilégient l’approche comportementale comme modèle de coaching pensent qu’il ne faut pas trop s’attarder aux émotions du client car elles peuvent être nuisibles à son engagement envers le changement. Même si le coach comportemental reconnaît les problèmes actuels, il se concentre plutôt sur l’avenir. Il évite l’émotionnel ( « touchy-feely ») qui ne peut que ramener vers le passé qui n’a pas grande utilité pour ce que la personne veut accomplir. Le fait de passer à l’action, malgré les émotions ressenties, permettra alors au client d’atteindre ses buts plus rapidement.

Or, selon Elaine Cox et Tatiana Bachkirova3 qui ont été parmi les premières chercheures à s’intéresser au sujet des émotions en coaching, il semble bien qu’il soit presque impossible pour un coach de pratiquer sans tenir compte des émotions. Même quand le coaching est clairement orienté vers la performance, comme du coaching de vente ou d’habiletés de présentation, les réactions émotionnelles peuvent souvent bloquer la performance. Donc, les tentatives pour ignorer les émotions du client ont le potentiel de limiter l’efficacité du coaching.

Une autre étude réalisée quelques années plus tard par Katina Cremona4 a aussi permis d’explorer comment les coachs abordaient la présence des émotions dans leur pratique. Elle a alors fait le constat que les coachs avaient vraiment différents niveaux de confort avec l’expression des émotions par leurs clients, allant d’une indifférence presque totale à une prise en compte exagérée qui peut les amener à tomber dans le champ de la psychothérapie.

Les émotions dérangent et doivent être régulées

La seconde perspective en coaching par rapport aux émotions découle directement du concept d’intelligence émotionnelle, selon lequel les émotions doivent être gérées ou même réprimées si elles sont nuisibles. Et ici nous parlons autant des émotions du client et de celles du coach qui peut être inconfortable devant un client qui exprime des émotions fortes.

Il est connu que la répression des émotions exige une dépense d’énergie cognitive significative car l’individu doit constamment s’observer et s’ajuster lorsqu’il vit un événement ayant potentiellement une charge émotive importante.

Par contre, la régulation qui passe par la réévaluation d’un événement de nature émotionnelle dans le but de pouvoir le gérer, est une approche réactive qui ne nécessite pas que l’individu fasse autant d’efforts continus pour s’observer. Il gère simplement la situation lorsqu’elle se présente.

Mais, dans les deux cas, soit la répression ou la régulation des émotions, les apprentissages du client peuvent s’en trouver limités si les émotions sont simplement traitées comme quelque chose qui doit être observé et régulé. Une telle approche peut aussi avoir un impact sur la mémoire de l’événement ayant eu une charge émotive. En effet, en supprimant ou régulant l’événement, il deviendra difficile pour le client de se souvenir des détails de cet événement qui pourrait éventuellement avoir une signification importante.

Il est maintenant connu que la mémoire d’un événement est largement influencée par des choses qu’on peut avoir vues ou entendues après le fait. Ce phénomène a été sérieusement étudié à propos des témoins qui sont interrogés lors d’un procès et dont la version d’un événement peut varier dans le temps.5

Il n’est pas rare de vivre le même phénomène en coaching alors que l’histoire du client peut ne pas être exactement une description de ce qui est vraiment arrivé, mais de ce que sa mémoire en a fait. La répression des émotions et leur régulation peuvent accentuer ce phénomène, un peu comme le poisson qui grossit à chaque fois que la personne raconte l’histoire de sa prise. À la fin elle croit vraiment qu’elle a pris un très gros poisson.

Les émotions sont de l’information à être acceptée ou analysée

La troisième perspective considère simplement les émotions comme de l’information qui peut être utile pour comprendre l’objet de l’émotion forte et développer des stratégies pour composer avec elle. Selon cette perspective, il n’est pas question de la réprimer ou de tenter de la réguler. La prise de conscience de son existence ainsi que son acceptation comme un fait qui a un impact sur ce que la personne vit, peuvent alors être les déclencheurs d’un changement éventuel.

Cette troisième perspective est celle que favorise les auteurs Duffell et Lawton-Smith, mais elles soulignent aussi qu’en travaillant avec les émotions les coachs s’exposent à vivre trois problèmes clés : la définition du problème, la mémoire du problème et le langage du problème.

Les trois problèmes relatifs au coaching des émotions

Définition du problème

Malgré toutes les recherches qui ont été faites à propos des émotions, il n’en existe pas vraiment une définition universellement acceptée. C’est pourquoi on en retrouve des listes qui sont variables. Néanmoins, Duffell et Lawton-Smith suggèrent que les coachs explorent divers aspects connus de l’émotion : le niveau de conscience ou d’inconscience du client par rapport à sa réaction, la réponse physiologique et les comportements provoqués par l’émotion, ses aspects positifs et négatifs, son évolution et les dimensions cognitives qui l’accompagnent. Une telle approche leur permettra de mieux définir le problème.

La mémoire du problème

Comme nous l’avons mentionné plus haut, la recherche nous révèle que plus les individus essaient de réprimer leurs émotions négatives ou de les réguler, moins il est facile pour eux de s’en souvenir fidèlement après l’événement qui les a provoquées.

C’est ainsi qu’en coaching, le client peut se rappeler facilement certains détails d’un événement alors qu’il reconstruira le reste avec des erreurs de mémoire et de nouvelles informations. Par exemple, un client peut donner une version d’une altercation avec un collègue très différente de celle que le coach a obtenue lorsqu’il a eu son entretien initial avec les Ressources humaines.

Les coachs doivent donc être conscients des limites de la mémoire de leurs clients lorsqu’ils racontent un événement à forte connotation émotive.

Il est probable que la mémoire du client soit loin d’être fiable. En fait, ce qu’il raconte peut être une reconstruction très approximative qui a peu à voir avec la réalité.

Le langage du problème

Les mots ou expressions utilisés pour décrire une émotion forte peuvent varier fortement d’un individu à un autre, y compris entre le client et le coach. Certaines émotions dites positives sont aussi susceptibles d’avoir un envers négatif. Par exemple, l’espoir peut avoir l’anxiété en contrepartie.

Donc, le langage utilisé par le coach - notamment dans ses reformulations - a le potentiel d’influencer le client et les interactions subséquentes. Si un coach, par exemple, reformule une émotion comme étant une « anxiété », cela peut amener le client à se comporter d’une manière qui est consistante avec la description du coach, alors que l’émotion vécue par le client peut ne pas être réellement de l’anxiété, mais une simple préoccupation.

Conclusion

Travailler avec les émotions en coaching présente un certain nombre de défis pour les coachs. À cet égard, les auteurs Duffell et Lawton-Smith ont formulé quatre questions pour aider les coachs à adapter leur pratique à la manifestation d’émotions fortes par leurs clients :

  1. Comment puis-je aider mon client à voir les émotions comme de l’information précieuse?
  2. Comment puis-je créer avec mon client une compréhension commune de l’expérience émotionnelle?
  3. Quelles stratégies d’investigation seront utiles pour obtenir le meilleur éclairage possible du vécu émotionnel en minimisant les problèmes de mémoire?
  4. Dans quelle mesure mon propre langage influence-t-il nos interactions?


  1. Duffell, P. & Lawton-Smith, C. (2015). The challenges of working with emotion in coaching. The Coaching Psychologist. 11(1), 32-41.
  2. Mesquita, B., Marinetti, C. & Delvaux, E. (2012) The Social Psychology of Emotion dans The Sage Handbook of Social Cognition London: Sage Publications 290-310
  3. Cox, E. & Bachkirova, T. (2007). Coaching with emotion : How coaches deal with difficult emotional situations. International Coaching Review, 2(2), 178-189
  4. Cremona, K. (2010). Coach and emotions: an exploration of how coaches engage and think about emotion. Coaching: An International Journal of Theory, Research and Practice, 3(1), 46-59.
Engelhardt, L. (1999). The Problem with Eyewitness Testimony. Commentary on a talk by George Fisher and Barbara Tversky. Standford Journal of Legal Studies, 1(1), 25-29
Yvon Chouinard, ACC ACC, CRHA