15 janvier 2014

Chronique recherche en coachingpar Yvon Chouinard, ACC

COACHING ET DÉVELOPPEMENT DES LEADERS ÉMERGENTS : UNE "BOÎTE NOIRE"?

Le développement des leaders émergents

Les meilleures compagnies au monde se font un devoir d’identifier et de développer leurs gestionnaires et leaders qui émergent comme ayant du potentiel. Elles le font pour une excellence raison : ceux et celles qui possèdent les bons talents et vivent les bonnes expériences sont plus susceptibles de livrer de bons résultats.

Il y a des exemples fameux de préparation de la relève réussie au cours des décennies, GE étant l’exemple le plus connu. Et à GE c’est la relève non seulement pour le poste de PDG qu’on prépare, mais pour tous les autres postes clés dans l’organisation.

Dans les faits, GE se retrouve habituellement avec plusieurs candidats en relève pour chaque poste clé. Ce qui est l’équivalent d’un pipeline de talents.

Honeywell, IBM, Marriott, Microsoft, Pepsi and Procter & Gamble sont d’autres organisations qui ont des approches très structurées de préparation de la relève en utilisant le modèle du pipeline.

Une recherche pour nous éclairer

Afin d’en savoir un peu plus sur les façons dont les organisations préparent leurs leaders de demain, Patrick Doyon, PEng, ACC, et Valérie Tremblay, CRHA, ACC, deux coachs de la région de Montréal, ont mené un sondage auprès de 125 dirigeants et professionnels canadiens à cet effet. Ils ont publié les résultats de leur recherche dans un document intitulé Developing Emerging Leaders : Why, What and How? Perspectives, Trends and Best Practices.1 Le sondage a été administré entre janvier et mars 2013. Suite à la collecte des données et l’analyse des résultats, les auteurs de la recherche ont mené des entrevues d’une heure avec une douzaine de participants afin de discuter des conclusions préliminaires et rassembler des rétroactions qualitatives à propos du sujet de la recherche.

Les participants provenaient d’un large éventail de secteurs économiques. Parmi les participants 49% d’entre eux étaient reliés au domaine du développement et de la formation, et 22% étaient des cadres supérieurs. Au niveau géographique, la plus grande proportion des participants (58%) provenaient du Québec, 10% de l’Ontario et 22% des provinces de l’Ouest. Cinquante-neuf pour cent des participaient appartenaient à des entreprises de 1 000 employés et plus, 12% à des entreprises de 250 à 1 000 employés et 29% à des entreprises de moins de 250 employés.

La recherche couvre plusieurs aspects de la préparation des leaders, mais pour cet article, nous nous en tiendrons à ses éléments relatifs au coaching.

Dans le contexte de leur recherche, les auteurs ont défini le coaching comme une activité professionnelle qui peut être utilisée séparément ou en combinaison avec d’autres méthodes de développement, et dont le but est d’aider un individu à établir et accomplir un objectif d’amélioration d’une nature ou d’une autre.

Les résultats de la recherche

Les bénéfices du coaching

Les répondants ont relevé un certain nombre de bénéfices  « très importants » associés au coaching, les deux premiers étant de développer/d’acquérir des nouveaux comportements de leadership (88%) et d’améliorer leur compétences de gestion existantes (81%).  Parmi les autres bénéfices du coaching identifiés mentionnons l’accroissement de l’engagement des employés (77%), l’atteinte de buts d’affaires spécifiques (71%), l’augmentation de la rétention des employés (69%), et l’amélioration de la productivité individuelle (55%).

Les barrières au coaching

Même si les répondants reconnaissaient le potentiel de développement  du coaching de leadership, ils ont rapporté plusieurs obstacles « très importants » à l’offre de services de coaching professionnel aux leaders émergents, le premier étant le coût total (direct, indirect) (84%), le second, le manque de structure du coaching (processus, phases, résultats) (59%), et le manque de mesures formelles pour l’évaluer (51%). Les autres obstacles identifiés étaient la logistique, les certifications, le manque de livrables tangibles et le manque de soutien adjacent.

Pas étonnant que lorsque les auteurs demandent à quelle fréquence leur organisation utilise des services formels de coachs externes pour ses leaders émergents (haut-potentiels, gestionnaires intermédiaires ( 29-40 ans) et les nouveaux gestionnaires, seulement 13% disent utiliser le coaching « souvent », 24% « parfois » et 63% « rarement ou jamais ».

Il est intéressant  de signaler quelques commentaires des participants recueillis lors des entrevues pour expliquer les raisons qui font que le coaching est peu utilisé : « Le coaching est un peu trop comme une boîte noire. Nous ne savons pas ce qui arrive durant le coaching, et nous ne pouvons réellement dire ce qui en ressort. » « C’est comme si nous envoyions nos gestionnaires en thérapie pour un réglage rapide. » « C’est un peu trop vague et non structuré. Nous ne savons pas quand il commence, combien de temps il dure et quel processus est suivi. » « La qualité des coachs que nous avons utilisés a grandement varié, et à l’occasion, elle était douteuse. »

Implications pour le coaching

Il ressort de cette recherche que le coaching est encore peu compris, ce qui entraîne un certain nombre de préjugés, et que la qualité des services de coaching offerts par la population des coachs est très variable.

Pour un, le coaching ne peut pas tout accomplir dans le développement des gestionnaires en émergence. La célèbre étude de Helen Handfield-Jones de McKinsey (2000) 2, auprès de 200 cadres supérieurs américains dans 50 grandes entreprises, avait déjà identifié que les projets spéciaux, la manière dont les emplois sont structurés et la rapidité de changements de rôles, étaient les facteurs essentiels ou les plus importants dans le développement des cadres, et en général, les organisations sont assez bonnes dans ces domaines.

Le mentorat, le coaching informel, la rétroaction sur ses forces et faiblesses et la présence de modèles à émuler étaient aussi des facteurs essentiels ou très importants, mais à cet égard, les organisations sont beaucoup moins efficaces.

Notons en passant, que l’étude de Handfield-Jones, révèle aussi que les programmes de formation interne et externe et toutes les batteries de tests administrés aux gestionnaires sont parmi les éléments les moins essentiels ou importants pour leur développement tel que rapporté par les gestionnaires-répondants. Et de plus, les organisations sont perçues comme peu efficaces dans ces dimensions de développement.

Conclusion : les expériences « additives »

Barry Conchie, un scientifique attaché au groupe Gallup 3, affirme que chaque leader en développement a besoin d’expériences additives – pas forcément cumulatives – dans le sens que chaque expérience vient améliorer les expériences précédentes, pour progresser dans sa carrière. Cette préparation pour occuper des postes plus importants doit débuter tôt, la transition la plus difficile étant de passer de contributeur personnel, à leader fonctionnel, puis à « leader de leaders ». La formation n’étant pas très utile, c’est donc vers l’accompagnement qu’il faut se tourner, dont le coaching, qui peut aider les leaders émergents à discuter de leurs défis, de leurs craintes, et à les surmonter.

Mais tout ceci prend du temps3. Du temps pour apprendre, réfléchir et intégrer les expériences dans ce qu’ils savent déjà. Du temps pour sortir du tourbillon quotidien, afin d’apprendre à se connaître (forces, limites, valeurs, croyances, motivations).

Il est aussi très difficile de se développer en isolation des autres4. Cela est possible pour développer certaines habiletés intellectuelles, mais la maturation comme leader est un concept relationnel et demande la collaboration et le soutien des autres.

Évidemment, les coachs professionnels sont familiers avec ces notions de développement des gestionnaires, mais selon l’étude de Doyon & Tremblay, il est évident que le monde du coaching a encore beaucoup de travail à faire pour démontrer aux organisations qu’il utilise une approche structurée et qu’il est possible d’en évaluer les résultats. Le coaching ne doit plus être une « boîte noire ».

D’un autre côté, les organisations doivent porter une attention toute spéciale au choix des coachs qu’elles embauchent. Une considération primordiale à ce sujet est certainement la formation et la certification des coachs, mais aussi leur expérience concrète dans le développement des leaders émergents. Autrement dit, il ne faut pas embaucher n’importe qui, car on risque d’avoir n’importe quoi.

 

  1. Doyon, P. & Tremblay, V. (2013). Developing Emerging Leaders: Why, What and How? Perspectives, Trends and Best Practices. http://www.beyondthetheory.com/files/boxes/PDFs/WP_DEL-WhyWhatHow_2013-10.pdf
  2. Handfield-Jones, H. (2000). How Executives Grow, The McKinsey Quarterly, 2000, No. 1
  3. Robison, J. (2013). Experiences That Help Emerging Leaders Grow. Gallup Business Journal, February 08, 2013
  4. King, T. (2006). Cultivating Next-Generation Leadership: Six Keys to Successful Preparation. Emerging Leaders Association. http://www.emerging-leadership.com/Documents/WhitePapers/Next-Generation-Leadership.pdf
Yvon Chouinard, ACC ACC, CRHA