15 septembre 2015

Coacher le cerveau: neurosciences ou non-sens?par Yvon Chouinard, ACC

Neurosciences et coaching : un sujet à la mode

L’expression « coacher le cerveau » nous vient de David Rock, qui en 2006, publiait un article intitulé A Brain-Based Approach to Coaching dans International Journal of Coaching in Organizations.1 Il y présentait une entrevue avec le psychiatre Jeffrey M. Schwartz, un neuroscientifique et une autorité reconnue des troubles obsessionnels-compulsifs (TOC). L’entrevue portait en particulier sur le changement et l’attention. De son propre aveu Schwartz disait alors qu’il n’était pas un expert en coaching. En fait, Schwartz est un chercheur relativement controversé, surtout après ses déclarations à l’effet qu’on ne devrait pas séparer la science de la religion. À partir de ses échanges avec le chercheur, Rock, qui n’est pas un scientifique mais un formateur, a néanmoins ébauché ses propres hypothèses et convictions pour relier les neurosciences au coaching. Son livre Coaching with the Brain in Mind : Foundation for Practice écrit avec Linda J. Page en est le produit.2

Rock n’est pas le seul à avoir juxtaposé les neurosciences au coaching. Le professeur Paul Brown 3 ainsi qu’Amy Brann, 4 en particulier, ont eux aussi écrit des ouvrages sur le sujet. Ann Betz, qui n’est pas une scientifique, va aussi loin qu’affirmer que la recherche en neurosciences confirme l’efficacité du modèle de coaching co-actif.5 Un chercheur comme Richard Boyatzis, de l’Université Case Western Reserve s’intéresse également aux neurosciences appliquées au coaching, mais avec une plus grande prudence que les auteurs précédents. Les neurosciences ne sont pas de la neuro-magie a-t-il déjà déclaré.

Devant cette abondante littérature sur le sujet des neurosciences couplée au coaching, et surtout des extrapolations qu’on en fait, la revue The Coaching Psychologist, publiée par le Groupe spécial de psychologie du coaching formé par The British Psychological Society, a développé un numéro spécial dans le but d’améliorer le dialogue entre le champ des neurosciences et celui de la psychologie du coaching. En fait, qu’est-ce que les neurosciences nous apprennent que nous ne savions pas déjà grâce aux recherches bien documentées de la psychologie depuis les 50 dernières années? Voilà la question.

 

Défis et perspectives de la recherche sur les réponses du cerveau au coaching

L’article principal du numéro spécial de The Coaching Psychologist,6 rédigé par sept chercheurs psychologues, nous rapporte d’abord, que peu de choses ont été faites jusqu’à maintenant dans le champ de la psychologie du coaching afin d’appliquer les connaissances neuroscientifiques à la compréhension et l’amélioration du processus de coaching. En fait, selon eux, il n’existe présentement aucune étude qui ait été réalisée afin d’établir les corrélations qui peuvent exister entre l’efficacité du coaching et le système neuronal.

Un des grands défis de l’étude du cerveau en réponse au coaching – et ce défi s’applique à toutes les recherches qui impliquent l’utilisation de la neuroimagerie ou de l’électroencéphalographie (EEG) – il n’est pas possible d’obtenir une lecture fiable du cerveau lorsque le sujet parle ou bouge. Ce qui veut dire qu’il est présentement impossible de faire une scanographie du cerveau d’une personne durant une session typique de coaching.

Un autre défi de la recherche est la population habituelle des personnes qui font appel à des services de coaching. En effet, les découvertes réalisées jusqu’à maintenant avec la neuroimagerie sont grandement basées sur des fonctionnements anormaux du cerveau des sujets. Le travail d’identification des différences entre un cerveau normal et un autre qui présente des troubles de fonctionnement est ainsi grandement facilité. À cet égard, les clients en coaching ressemblent plutôt à des sujets normaux utilisés dans les groupes de contrôle en recherche. Compte tenu de la sensibilité limitée des appareils de balayage actuel, il pourrait être très difficile d’observer des changements significatifs provoqués par le coaching, autre que ce que nous pouvons déjà observer de la part d’une personne normale.

Malgré les défis posés par la recherche, les auteurs terminent leur article en disant qu’au même titre que la psychothérapie, la psychologie du coaching devrait inclure dans son agenda, de la recherche s’intéressant aux bases neuronales de l’efficacité du coaching.

Trois psychologues réagissent à l’article principal

La revue a demandé à trois auteurs différents de commenter l’article principal et d’apporter chacun leur propre point de vue sur le sujet.

Manfusa ShamsPourquoi est-ce important de comprendre les bases neurologiques des interventions en coaching? 7

Selon le psychologue Shams, un expert des troubles dans les relations humaines, l’intérêt d’associer les neurosciences au coaching ne réussira que le jour où les neuroscientifiques voudront bien s’y intéresser, avec le but de travailler de manière interdisciplinaire afin de contribuer au développement du potentiel humain. Pour l’instant, rien ne justifie l’importance qu’on veut accorder aux neurosciences en coaching. Ni recherches, ni travaux sérieux.

Shams, comme les auteurs de l’article principal, rappelle le défi d’utiliser des techniques de neuroimagerie durant des entretiens de coaching, car même si cela fonctionnait, les procédés seraient susceptibles d’affecter le processus de coaching et bien sûr, les résultats.

 

Alanna O’BroinLa psychologie du coaching et les neurosciences : des occasions d’interdisciplinarité et de défis. 8

Pour la psychologue O’Broin, une spécialiste de la psychologie du coaching, le défi de créer un dialogue avec les neuroscientifiques est le problème sans doute le plus important pour le coaching et la psychologie du coaching. D’autant plus, que le financement pour la recherche sur le coaching par des organismes travaillant en coordination est inexistant et peu susceptible de l’être bientôt.

Elle souligne également, que les technologies actuelles ne permettent pas d’étudier une relation interpersonnelle comme celle d’un entretien de coaching, sans la compromettre, ce qui invaliderait les résultats.

O’Broin ajoute que si nous pouvons identifier les circuits neuronaux, c’est encore à un niveau très général et d’une manière qui nous donne une représentation incomplète du fonctionnement du cerveau en temps réel. Il faut donc être prudents et éviter que notre enthousiasme pour les études en neurosciences et neuroimagerie ne devance la capacité réelle de ces méthodes de nous donner de vraies réponses sur les mécanismes œuvrant dans une relation de coaching.

 

Anthony M. GrantCoacher le cerveau : Neuro-science ou non-sens-neuro? 9

Grant, psychologue australien bien connu dans le monde du coaching, écrit un article assez critique dans lequel il décrit quelques neuro-mythes et idées fausses.

Tout d’abord, il dit que les relations entre l’esprit, le cerveau et les comportements ne peuvent être réduites à des images en couleur générées par ordinateur, aussi spectaculaires soient-elles. La simplification excessive de ces relations complexes crée des malentendus qui sont propagés par la presse populaire et ceux qui utilisent le langage des neurosciences pour vendre leurs produits et services.

De plus, Grant affirme que même entre les experts en neurosciences il y a tellement d’ambiguïté et de controverses à propos des méthodologies de recherche et la fiabilité des résultats, que cela devrait être une mise en garde importante pour l’industrie du coaching dont la grande majorité des intervenants n’ont pas la formation postdoctorale en neurosciences requise pour comprendre et utiliser les résultats des recherches dans ce domaine.

Il dit aussi que le monde du neuro-coaching est inondé de déclarations tranchées qui sont prétendument des découvertes dérivées des neurosciences, dont David Rock auquel nous faisions référence au début de cet article. Or, Grant dit que toutes ces « dites découvertes », comme le fait que les connexions dans notre cerveau créent des cartes mentales, sont connues depuis plusieurs années dans le secteur des sciences du comportement.

Grant continue en affirmant qu’il existe déjà des preuves solides, appuyées par des recherches bien encadrées, que le coaching fonctionne, peu importe ce que peuvent en dire les promoteurs des neurosciences en coaching.

Il s’attaque aussi au mythe que les neurosciences permettent de coacher le cerveau. À cet égard, il dit que les partisans des neurosciences en coaching doivent démontrer comment les autres approches en coaching n’impliquent par le cerveau des personnes coachées.

Il conclut en disant qu’il y a beaucoup de choses insensées qui sont dites à propos des neurosciences et du coaching. Beaucoup de marketing aussi. Et selon lui ce n’est pas une bonne chose pour le coaching. En fait, il croit plutôt que le coaching serait plus utile aux neurosciences que les neurosciences au coaching.

Implication pour les coachs

Il est difficile d’ajouter quoi que ce soit à ce que ces experts ont écrit dans The Coaching Psychologist. Vous pouvez certainement tirer vos propres conclusions.

Je terminerais simplement en citant Margaret Moore, co-directrice et co-fondatrice du Institute of Coaching de Harvard Medical School :

« Quand les médias parlent d’une nouvelle recherche sur le cerveau, nous oublions que les résultats sont préliminaires, n’ont pas été reproduits et pourraient facilement être contredits dans l’avenir.

Les neurosciences sont un domaine scientifique qui peut informer et inspirer les coachs. Mais c’est un domaine parmi bien d’autres. Attention de trop mettre d’emphase sur son impact. Cherchez de nouveaux éclairages d’un large éventail de sources. »

 

  1. Rock David. A Brain-Based Approach to Coaching (2006). International Journal of Coaching in Organizations. 4(2), 32-43.
  2. Rock, David & Page, Linda, J. (2009). Coaching with the Brain in Mind. Hoboken, NJ: John Wiley & Sons
  3. Brown, Paul & Brown, Virginia (2012). Neuropsychology for Coaches: Understanding the basics. Berkshire, England: Open University Press
  4. Brann, Amy (2014). Neuroscience for Coaches. London: Kogan Page Limited
  5. Betz, Ann (2012). Co-Active Coaching and the Brain: Neuroscience Research Supports the Efficacy of the Co-Active Model. http://www.thecoaches.com/images/uploads/Co-Active-Coaching-and-The-Brain.pdf
  6. Dias et al. (2015) Perspectives and challenges for the study of brain responses to coaching: Enhancing the dialogue between the fields of neuroscience and coaching psychology. The Coaching Psychologist. 11(1), 11-18
  7. Shams, Manfusa (2015) Why is it important to understand the neurological basis of coaching intervention? The Coaching Psychologist. 11(1), 28-29.
  8. O’Broin, Alanna (2015). Coaching psychology and neuroscience: Cross-disciplinary opportunities and challenges. The Coaching Psychologist, 11(1), 30-31-
  9. Grant, Anthony, M. (2015). Coaching the brain: Neuro-science or neuro-nonsense? The Coaching Psychologist. 11(1), 31-37.
Yvon Chouinard, ACC ACC, CRHA